Tunisie/ Union européenne : Les rapports se crispent sur fond de l’épineuse question migratoire
La crise migratoire continue de crisper les rapports entre la Tunisie et l’Union Européenne. Suite à  l’afflux massif de migrants vers les côtes européennes (11.000 en une semaine), les dirigeants européens envisagent de créer une zone de recherche et de sauvetage.
De son côté Emmanuel Macron a dans ce sens préconisé l’envoi d’experts et de matériel sur les côtes tunisiennes pour démanteler les réseaux de passeurs…
La dernière décision en date concerne également la refonte du système migratoire européen. Bruxelles a annoncé hier jeudi 28 septembre, qu’un accord entre les États membres sur un élément central de cette réforme était anticipé « dans les prochains jours ». Le règlement actuellement en discussion vise à structurer une réponse unifiée au niveau européen en cas d’important flux de réfugiés vers un pays de l’UE.
La Tunisie, quant à elle, persiste et signe, elle ne veut pas devenir la garde-frontières de l’UE.
En attendant, le mémorandum d’entente, dont l’axe principal est la lutte contre la migration illégale, signé en juillet dernier est toujours en suspens. Le point avec Ghazi Ben Ahmed, Président et fondateur du think tank, Mediterranean Development Initiative (MDI).
Un mémorandum flou
Voilà maintenant plus de deux mois que la Tunisie et l’Union Européenne se trouvent dans un marasme de négociations au sujet du mémorandum d’entente signé le 16 juillet dernier, presque en catimini, par Kaïs Saïed, Giorgia Meloni, Mark Rutte et Ursula Van Der Leyen à Tunis.
S’il a été question d’une aide financière pour la lutte contre la migration illégale et d’un appui budgétaire en faveur de la Tunisie, le décaissement s’est fait attendre. Et pour cause, il semble y avoir une discorde au sein de l’Union Européenne sur le contenu de ce mémorandum, auquel on reproche son opacité.
« En juillet, quand ils ont signé le mémorandum, le contenu était vague. Il s’agissait de déclarations de principes généraux sans aucun détail ni sur l’étendue, ni sur les modalités d’application de cet accord », rappelle Ghazi Ben Ahmed.
Ainsi, l’Union européenne a mandaté une délégation de la commission européenne afin d’établir une feuille de route claire sur la mise en application de ce mémorandum d’entente. Mission qui a été, reportée, pour ne pas dire annulée, à la demande de la Tunisie.
Pourtant les intentions européennes sont plutôt claires. Dans une récente déclaration, la ministre des affaires étrangères Française, Catherine Colonna et son homologue italien Antonio Tajani avaient déclaré « il faut que la Tunisie s’engage avec notre aide ». Il faut comprendre que la Tunisie doit s’engager auprès de l’UE pour protéger non pas ses propres frontières, mais celles du vieux contient.
« La ligne rouge de la Tunisie c’est qu’elle ne veut pas être le gardien des frontières de l’UE », souligne Ben Ahmed. Or on se rend compte que le mémorandum tourne autour de comment la Tunisie va s’engager pour protéger les frontières européennes », nous dit Ghazi Ben Ahmed.
« Il faut tout de même comprendre que la « shopping list » contient des bateaux pour surveiller les frontières avec l’UE », ajoute-t-il.
Ce dernier rappelle, qu’un mémorandum du même type avait été signé en 2017 entre l’Italie et la Libye et qui perdure jusqu’à aujourd’hui et lourdement critiqué par les ONG, dénonçant les exactions commises à l’encontre des migrants, sous couvert de cet accord.
La Tunisie en position de force ?
Devant l’ampleur de l’afflux de migrants il y a quelques semaines sur les côtes italiennes de Lampedusa, la Commission européenne a débloqué une enveloppe de 127 millions d’euros en faveur de la Tunisie. Ainsi, la moitié de cette enveloppe d’euros est allouée à la lutte contre la migration et le reste sous forme d’aide budgétaire. « Il faut préciser que les 60 millions avaient déjà été approuvés par l’UE en 2022 », relève Ben Ahmed.
La Tunisie serait-elle en position de force sur la question de la gestion de la crise migratoire ? Sur cette question Ghazi Ben Ahmed indique que « Giorgia Meloni a ouvert la boite de pandore en mettant la Tunisie en position de faire chanter l’Union Européenne sur la question migratoire et les élections européennes de 2024, n’y sont pas étrangers », explique-t-il.
Dans une interview accordée à la chaîne « Russia Today », en marge de sa visite à Moscou, le ministre des Affaires étrangères tunisien, Nabil Ammar, a déclaré que « c’étaient les Européens qui avaient tenu à ce que cet accord ait lieu, étant convaincus que la vision devait changer pour un partenariat dans l’intérêt des deux parties ».
« Nous allons voir la prochaine période comment cet accord sera traduit dans les faits » a-t-il encore ajouté.
« La Tunisie est en train de préparer son « story telling », afin de savoir comment présenter les choses pour qu’elles soient en conformité avec leur mantra. La Tunisie refuse d’être un garde frontière de l’UE mais signe un mémorandum avec elle. Elle refuse également les diktats du FMI mais tout en laissant la porte ouverte en mettant en place une politique d’austérité », conclut Ghazi Ben Ahmed.
Le projet de règlement actuellement en débat vise à coordonner l’intervention de l’Union européenne en cas d’une importante affluence d’exilés vers l’un de ses États membres. L’Allemagne, qui avait initialement rejeté le texte, a finalement accepté le compromis présenté jeudi.
Le compromis ayant obtenu la majorité nécessaire parmi les États membres fera ensuite l’objet de négociations avec le Parlement européen et ce malgré des réticences émises par l’Italie.
Ainsi, le texte propose, en cas d’afflux « massif » et « exceptionnel » de migrants, un régime dérogatoire moins favorable pour les demandeurs d’asile que les procédures habituelles. Il prolonge la durée possible de détention d’un migrant aux frontières extérieures de l’UE jusqu’à 40 semaines et simplifie les procédures d’examen des demandes d’asile pour un plus grand nombre d’exilés, permettant ainsi des renvois plus aisés.
Par ailleurs, le texte prévoit une activation rapide de mécanismes de solidarité envers l’État membre confronté à cette affluence, incluant la relocalisation des demandeurs d’asile ou une contribution financière.
Wissal Ayadi