Tunisie : De quels arguments devra user Najla Bouden pour convaincre à Davos ? (Saïdane)

16-01-2023

La cheffe du gouvernement, Najla Bouden, prend part à la réunion annuelle du forum économique mondial, qui s’est ouvert ce lundi 16 janvier et se poursuivra jusqu’au 20 janvier, à Davos en Suisse.

Le forum rassemblera les acteurs mondiaux de l’économie et de la finance, ainsi que des dirigeants politiques. Cette édition 2023 se penchera essentiellement sur la guerre en Ukraine et ses conséquences, le réchauffement climatique ou encore la pandémie de Covid-19.

C’est la deuxième fois que la locataire de la Kasbah se rend à Davos. L’occasion pour elle de plaider la cause de la Tunisie, en vue d’un éventuel déblocage du dossier tunisien au niveau du Fonds monétaire international, et également de tenter de mobiliser des fonds auprès d’autres institutions financières et bailleurs de fonds.

Mais dans un contexte socio-économique tendu en Tunisie, Najla Bouden devra faire preuve de beaucoup de persuasion et de diplomatie. Pour comprendre le contexte et les enjeux de la présence de la cheffe du gouvernement à Davos, Gnetnews s’est entretenu avec l’expert économique Ezzedine Saidane.

Ne pas promettre des choses que l’on ne peut pas faire

Najla Bouden participera, à partir de demain mardi 16 janvier, à la réunion annuelle du Forum économique mondial. Un événement qui réunit chaque année les dirigeants politiques du monde entier et les grands décideurs économiques et financiers.

L’occasion pour Cheffe du gouvernement de « vendre » au mieux la Tunisie pour espérer obtenir un petit coup de pouce sur l’épineux dossier de l’accord définitif du FMI, en vue de la finalisation du programme de financement à hauteur de 1,9 milliard de dollars, reporté sin die par le board de l’institution financière en décembre dernier.

« Une présence vaut mieux qu’une absence. Mais il faut être prudent, ne pas promettre de choses qu’on ne peut pas faire, dire toute la vérité sur la situation économique, sociale, financière et politique dans le pays car ce sont des choses qui se vérifient très rapidement », nous dit Ezzeddine Saidane. 

Ezzedine Saidane / Expert économique

Concernant l’accord avec le FMI, l’expert économique tient à préciser que, selon lui, il a été « rejeté » et non reporté. « D’abord le FMI ne décide jamais d’un report, il accepte ou il rejette le dossier. Généralement quand le FMI reporte un dossier, il propose une date de report ou au moins il dit qu’il est reporté à une date ultérieure, sans la préciser. C’est pour cela que l’on peut dire que le dossier a été purement et simplement rejeté, ce qui ne veut pas pour autant dire que la Tunisie ne peut pas revenir à la table des négociations, mais il faut un dossier autre, accompagné d’un effort de persuasion plus important », souligne-t-il.

Sur les raisons de ce que Ezzedine Saidane  considère comme un rejet, il explique dans un repaire temps qu’au niveau du FMI il n’y a pas de vote à proprement dit. « Il s’agit plutôt de discussions qui se font avant la date de la réunion pour s’assurer qu’il y a suffisamment de parties disposées à contribuer au financement du plan de réformes afin de garantir des chances de succès du programme du FMI. Si aucune autre partie n’est disposée à y contribuer, il est évident que le financement du FMI ne sera pas suffisant et ne permettra pas au pays de sortir de sa situation. C’est pour toutes ces raisons que la Tunisie n’a pas réussi à obtenir des promesses de la part d’autres bailleurs qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, et convaincre, ainsi, le FMI qu’il y aura suffisamment de ressources pour financer le programme de réformes. La FMI considère qu’il n’y aucun sens dans l’octroi d’un crédit s’il est le seul a financer très partiellement le programme de réformes », ajoute-t-il.

Ainsi, la participation de la Tunisie a des événements comme celui du Forum de Davos est très importante pour la Tunisie afin qu’elle aille chercher des fonds. « Encore faut-il que Najla Bouden ait les bons arguments pour persuader. 

Un exercice périlleux pour Najla Bouden

Najla Bouden se rend à Davos dans un contexte politique difficile. Le premier tour des élections législatives a été marqué par un taux d’abstention record, traduisant une désaffection de la politique. A cet égard, Ezzdine Saidane avoue que c’est une situation qui sera difficile à aborder et à justifier dans les éventuelles discussions qu’elle tiendra à Davos.  « D’autant plus que ce parlement, ne dispose que de très peu de pouvoirs. Il ne sera qu’une pièce de décor qui peut coûter très cher, non pas en argent, mais en opportunités perdues », affirme Saidane.

Par ailleurs, l’expert économique rappelle que les ratios de la Tunisie sont alarmants. « Le déficit commercial a atteint un taux record de 25,2 milliards de dinars, ce qui entraine de façon mécanique un déficit record de la balance des paiements courants et donc également une aggravation de la dette extérieure. Najla Bouden aura à argumenter sur les actions qui sont faites pour réduire ces déficits. Or on parle ici de réformes qui ne se font pas et d’une politique monétaire, qui à mon sens, n’a fat qu’aggraver la situation. Nous sommes à un niveau d’inflation à deux chiffres et celui sur les produits alimentaires se situe à 17,3% d’après l’INS. Ajouter à cela une croissance en berne et un taux de chômage à plus de15% », souligne Saidane.

Donc la question qui se pose concernant ce Forum de Davos, c’est quels arguments, Najla Bouden va-t-elle utiliser pour essayer d’obtenir quelques promesses de contribution au programme de réforme sachant que l’accord technique obtenu le 15 octobre avec le staff technique à une date de validité en quelques sortes ? En effet, si aujourd’hui la validation prend encore du retard, la Tunisie devra revoir tout le cadrage macroéconomique présenté lors de l’accord avec le staff technique afin de  l’actualiser car les données de base vont changer entretemps, à savoir les prévisions de croissance, la fluctuation des prix du pétrole, les besoins de financements, etc… Donc plus la date de validation du board s’éloigne de celle de l’accord technique, plus il y aura besoin d’actualiser et les retards s’accumuleront inexorablement.

« La Tunisie est dans l’urgence d’autant plus que le budget de l’Etat de 2023, comme celui de 2022,  a été construit sur la base d’un accord définitif avec le FMI, qui encore aujourd’hui n’est pas du tout garanti. Rappelons le cas du Liban, qui a eu un accord technique en avril dernier et qui n’a  toujours pas obtenu d’accord définitif », poursuit Ezzedine Saidane.

A Davos, Najla Bouden devra redoubler d’efforts avec les bailleurs bilatéraux et multilatéraux, car il semble que l’accord préalable avec le staff technique du FMI n’ait pas été très utile puisque pour le moment aucun partenaire ni institution financière n’a donné son feu vert pour un financement du programme de réforme, préférant attendre un accord définitif avec le FMI.

« Ces bailleurs sont d’autant plus prudents qu’ils savent pertinemment qu’en temps normal le processus pour l’accord d’un programme de financement du FMI est de l’ordre d’environ 3 mois entre négociations et déblocage de la première tranche. Or la Tunisie a mis 18 mois pour obtenir un accord provisoire. C’est un très mauvais signe qui s’explique par le doute qu’ont le FMI et les autres bailleurs de fonds dans la capacités des autorités tunisiennes à réellement engager et exécuter les réformes qui sont promises », conclut-il.

Wissal Ayadi