Tunisie : Des freins entravent le développement du tourisme alternatif et la diversification des produits
La Tunisie est connue pour ses plages, son patrimoine historique et culturel, ainsi que pour son tourisme de bien-être.
Cependant, pour faire face à la concurrence internationale et attirer de nouveaux types de voyageurs, les opérateurs, mais également l’Etat se sont engagés dans une stratégie de diversification de l’offre touristique.
Il s’agit de développer de nouveaux produits, tels que le tourisme sportif, le tourisme d’aventure, le tourisme écologique et le tourisme culturel, qui valorisent les richesses naturelles, culturelles et patrimoniales du pays.
Cette diversification permet ainsi de proposer une expérience touristique plus complète et originale aux visiteurs tout en contribuant au développement économique du pays.
Pour en savoir plus, Gnetnews s’est adressé à Walid Ben Cheikh Ahmed, ancien guide touristique, professeur à l’Institut des hautes études touristique de Sidi Dhrif, aujourd’hui il travaille avec un Tour-Operator américain qui vend la Tunisie comme un produit de luxe et de tourisme alternatif.
Nous vendons de l’hôtellerie et non pas du tourisme
Hôtels 5* en bord de mer, pleint à craquer pendant l’été, voici l’essentiel du tourisme tunisien. Pour autant, la Tunisie dispose d’autres atouts pour sortir de ce type de tourisme, peu cher et qui ne promeut pas les richesses culturelles du pays.
En somme, la Tunisie est en train de vendre de l’hôtellerie et non pas du tourisme et uniquement pendant une période bien déterminée, qui est celle de l’été. C’est le premier constat que dresse, Walid Ben Cheikh Ahmed.
« On remplit des hôtels pendant les 3 ou 4 mois d’été, et qui se vident tout le reste de l’année. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas de personnel fidèle. Ainsi nous ne pouvons pas dire que la Tunisie dispose réellement d’un produit touristique en tant que tel ».
En effet, les zones touristiques sont devenues au fil des années des sortes de dortoirs. On y construit des hôtels qui sont régis par des chaines hôteliers souvent internationales. Une fois que la chaîne en question décide de partir, une autre reprend, repeint les murs et on repart dans le même type de tourisme, qui est peu onéreux pour les étrangers, cher pour les locaux et qui n’incite pas à sortir de l’hôtel et aller à la découverte de la zone en question.
« On a l’impression que les autorités ne veulent pas prendre le risque de sortir de leurs zones de confort pour se diriger vers un autre type de tourisme, tant que celui-là fonctionne », nous dit l’expert.
Le secteur des agences de voyage nécessite, également selon ce dernier, une réforme en profondeur des pratiques commerciales. Malheureusement il est victime de nombreux freins qui ne lui permettent pas de se diversifier afin de proposer des produits touristiques nouveaux et en adéquation avec la demande d’aujourd’hui. « Ils sont bloqués administrativement par la Banque centrale de la Tunisie avec la question des devises qu’il peut faire rentrer en Tunisie mais qu’il ne peut pas investir en retour pour développer d’autres types de tourisme ».
Il faut développer tout ce qu’il y a autour des activités touristiques
La Tunisie dispose d’une richesse culturelle et de patrimoine qui pourrait faire d’elle une destination touristique de choix. Mais malheureusement, il n’y a qu’à se rendre sur les principaux sites archéologiques, comme Carthage, Dougga, Oudhna ou encore Kerkouane pour se rendre compte de la faiblesse de la mise en valeur de ce patrimoine, que ce soit du côté de l’entretien ou des infrastructures, inexistantes autour de ces sites.
« Prenons l’exemple de Maktaris (Makther). On y trouve ni restaurant, ni café, ni WC pour réaliser une visite descente. Autre exemple, celui de Ain Draham, a part dormir dans un hôtel, il n’y a pas d’autres choix d’hébergement alors que les possibilités sont infinies », nous dit Walid Ben Cheikh Ahmed.
Il rappelle tout de même que depuis quelques années, un changement est en train de s’opérer dans la région grâce notamment aux jeunes campeurs Tunisiens, passionnés de camping et d’activités outdoor, qui ont permis aux autorités de se rendre compte de la potentialité de cette zone.
Le tourisme d’expérience: un secteur en plein essor dans le monde
L’urgence de changement de pratiques de consommation pour préserver l’environnement et plus récemment la pandémie de Covid-19, a sensiblement bouleversé le tourisme dans le monde. La mode n’est plus au tourisme de masse, à la construction d’hôtels 5 étoiles comportant des milliers de chambres et des milliers de touristes au bord des piscines…Aujourd’hui le tourisme semble s’être recentré sur l’essentiel, à savoir la découverte de la nature et d’autres cultures.
Dans son travail, Walid Ben Cheikh Ahmed en fait l’expérience tous les jours et surtout toute l’année. « Je collabore avec un TO américain qui propose un tourisme d’expérience. J’emmène des clients, pour la plupart séniors, dans une ferme Medjaz-El-Bab pour leur faire découvrir les pratiques agricoles, ou à Ras El Oued, a 20KM de Tataouine, chez l’habitant qui les invite à préparer à manger et manger ensemble. De nos jours c’est cela que les gens attendent et en Tunisie, nous avons tous les atouts pour développer ce secteur».
Maisons d’hôtes, gîtes ruraux: Des lourdeurs administratives freinent leur développement
L’expert évoque également des freins administratifs pour l’ouverture de maisons d’hôte ou de gites ruraux. Très en vogue en Tunisie, de nombreuses établissements de ce type ont vu le jour à travers toute la Tunisie. Pour autant, rare sont celles qui sont agrémentées par l’Etat, puisque beaucoup opèrent de manière totalement illégale.
« Le cahier des charges est tellement lourds que de nombreux investisseurs abandonnent ou travaillent dans l’illégalité. Aujourd’hui sur environ 1000 maisons d’hôtes présentes sur le territoire tunisien, seules 10% sont déclarées », souligne Walid Ben Cheikh Ahmed.
En effet, processus de l’obtention d’un agrément est très lent et comporte beaucoup de zones d’ombre, pénalisantes pour un jeune qui veut investir. Une des plus grosses difficultés réside dans le déclassement des terres agricoles afin qu’elles soient vouées à l’activité touristique.
En outre, la construction d’une maison d’hôte est coûteuse pour l’Etat du fait qu’il doit fournir en parallèle l’infrastructure routière, sanitaire et sécuritaire nécessaires au profit d’une telle structure, située habituellement dans des endroits enclavés.
Là encore, plusieurs ministres ont annoncé leurs volonté de s’engager dans un chemin de développement de ce type d’hébergement… Mais jusqu’à aujourd’hui, rien n’a été fait de manière concrète.
Le tourisme saharien et oasien, oui, mais autrement…
Dernièrement, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Mohamed Moez Belhassine, a mentionné des programmes pour encourager le tourisme dans les régions sahariennes et oasiennes. Ces programmes incluent « la route du cinéma », « la route culinaire » et « la route de randonnée », ainsi que des événements sportifs, culturels et artistiques pour promouvoir ces régions.
« Jusqu’à maintenant, le tourisme saharien n’a servi qu’à polluer sans montrer les véritables richesses de ces régions. Il a consisté , et consiste encore aujourd’hui, à organiser ses sorties en 4×4 ou en quad, ou à faire des balades en chameau, pour finalement retrouver dormir dans un hôtel 5*… Nous devons aller plus loin que cela », affirme Walid Ben Cheikh Ahmed.
A cet égard, ce dernier exhorte les autorités à assouplir les textes de loi qui régissent les excursions touristiques afin de développer les randonnées pédestres, équestres, valoriser l’artisanat et faire découvrir, par exemple, les briqueteries qui fabriquent les fameuses briques de Tozeur, « Il faut travailler sur ce genre de petites niches si on veut développer le tourisme oasien et saharien », ajoute-t-il.
Si la ministère a pour ambition de développer le tourisme oasien, il faudrait déjà que l’on s’en occupe. A titre d’exemple, Gabès constitue la dernière oasis maritime de la planète. Mais elle est vouée à disparaître si la situation ne s’améliore pas. En cause, la pollution qui attaque à la fois l’air, la terre et la mer, trois ressources naturelles vitales pour les habitants.
Cette pollution vient essentiellement des complexes industriels installés dans la région. D’abord le Groupe chimique tunisien et également la cimenterie située dans la localité d’El Hamma. Aujourd’hui les statistiques montrent que 16.000 tonnes de phosphogypse sont rejetées dont 3000 tonnes qui partent directement dans la mer. En plus des rejets, ces deux complexes industriels sont des consommateurs importants d’eau issue des nappes phréatiques naturelles qui sont une des sources qui irriguent les oasis. L’oasis meurt à petit feu, dans l’indifférence la plus totale.
« Pour développer l’offre touristique, il faut vendre la Tunisie à travers ses régions, comme le font l’Italie ou l’Espagne », poursuit Ben Cheikh Ahmed. Dans ce sens, il rappelle également les projets touristiques qui ont été impulsés par des bailleurs de fonds internationaux, mais qui n’ont jamais été mis en valeur, comme c’est le cas de la région de Dahar, dans le sud tunisien.
En 2021, La Fédération du Tourisme Authentique « Destination Dahar » (FTADD), en collaboration avec la Fondation Suisse de Coopération au Développement Technique a annoncé le lancement du premier circuit du tourisme pédestre, baptisé « Destination Dahar », qui s’étend sur 194 km, à travers toute la chaîne de montagnes d’Al Dahar comprenant 12 maisons d’hôtes implantées dans les régions de Tamazaret à Matmata, jusqu’à Tataouine, en passant par Béni Khedache et Ghomrassen.
Un bel exemple de diversification des produits touristiques mais autour duquel aucune communication n’a été faite et qui pourrait pourtant constituer un point central du tourisme saharien de la région.
Wissal Ayadi