Tunisie : Le don d’organes repart à la hausse en 2022, mais on ne sensibilisera jamais assez !

16-11-2022

« Oui au don d’organes, oui à la vie », c’est ce slogan, plein de sens, qui a été choisi par le Centre national pour la promotion de la transplantation d’organe (CNPTO) pour mettre en avant sa cause.

Le don d’organe est encore aujourd’hui une question peu connue en Tunisie et, qui plus est, entachée de nombreux à priori, qui en réalité n’ont pas vraiment lieu d’être.

Afin de connaître tous les tenants et les aboutissants du don d’organes, GnetNews, s’est rendu au CNPTO à la rencontre de celles et ceux, qui chaque jour, essayent de sauver des vies. Notre guide sera le Dr Boutheina Zannad, médecin coordinatrice nationale et responsable de la sensibilisation au sein du CNPTO.

La Tunisie, pionnière en matière de don d’organes dans le monde arabe

La première opération de transplantation en Tunisie date de 1948, soit près de 75 ans en arrière, faisant de la Tunisie, un des pays pionniers en la matière dans le monde arabe.

En 1986, a eu lieu la première greffe rénale provenant d’un donneur vivant, en 1993, la première greffe cardiaque et en 1998, la première greffe hépatique et de moelle osseuse.

Et depuis, les médecins du CNPTO n’ont cessé d’améliorer leurs techniques et leurs recherches dans ce domaine, ayant pour objectif de sauver le maximum de personnes en demande de greffe.

Le Centre national pour la promotion de la transplantation d’organes a commencé ses activités en 1998. Cet établissement, public à caractère administratif, est le point focal de la transplantation en Tunisie. Il gère notamment l’inscription des receveurs sur les registres, il est chargé des modalités pratiques de prélèvement, de conservation, de transport et de transplantation d’organes. Le CNPTO veille également à la transparence lors de l’attribution des organes et des tissus aux personnes en attente de greffe selon des critères validés par le conseil scientifique.

« Nous pâtissons malheureusement d’une mauvaise image auprès de certaines populations qui sont influencées par les affaires ou les films de fiction qui parlent notamment de trafic d’organes. Mais il faut savoir qu’avec le processus d’attribution des organes, qui est totalement informatisé, nous travaillons en toute transparence que ce soit avec les patients en attente de greffe ou avec les donneurs et leurs familles », affirme Dr Zannad.

Qui sont les donneurs et les receveurs ?

Les organes prélevés proviennent soit d’un donneur dit vivant (de la famille proche) pour une greffe de rein ou de moelle par exemple.

Ils peuvent également provenir d’un donneur décédé, diagnostiqué en mort encéphalique. Leur mort est causée généralement soit par des accidents vasculaires cérébraux ou des accidents de la voie publique.

Les garanties médicales lorsqu’il s’agit d’un donneur décédé sont très strictes. D’abord, l’état de mort encéphalique est vérifié par un examen clinique, puis confirmé par un angio-scanner ou un EEG et enfin attesté par deux médecins. Des étapes nécessaires pour assurer la totale transparence du processus.

Depuis 1999, il est possible en Tunisie d’avoir une mention sur sa carte d’identité qui indique que l’on est donneur.

Les prélèvements et les greffes sont réalisés uniquement dans les établissements de santé publics agrées et sont répartis à peu près partout en Tunisie. « Quand il y a constatation d’un patient en mort cérébrale, les hôpitaux nous appellent pour nous prévenir. Nous réalisons une batterie d’examens et de vérification afin de voir s’il n’y a pas d’obstacles médicaux à un éventuel prélèvement ou s’il ne s’agit pas d’une mort suspecte », indique Dr Boudina Zannad.

Dr Bouteina Zannad

L’étape d’après consiste à vérifier si la personne en question n’est pas inscrite sur le registre des refus, consultable par tous les hôpitaux agrées. Il s’agit d’une demande qui doit être faite auprès du Tribunal, du vivant de la personne, si celle-ci ne souhaite pas faire don de ses organes. Selon, la médecin, ce registre serait pour le moment vide en Tunisie car peu connu.

Après toutes ces étapes, le moment vient de demander à la famille du patient leur accord pour le prélèvement des organes. « Au sein du CNPTO, nous avons des personnes formées pour cela car il est très délicat d’aborder cette question avec les familles », précise Dr Zannad.

Cette dernière précise tout de même, que même si la personne décédée a précisé sur sa carte d’identité qu’elle souhaite être donneuse, un consentement signé est systématiquement demandé à la famille pour éviter tout problème.

Si les proches acceptent, c’est toute une machine qui se met en route pour trouver le receveur, le plu vite possible. A noter qu’un rein peut attendre peut se conserver jusqu’à 24h, un foie 8h et un cœur seulement 4h.

Pour cela, il faut une bonne coordination entre les médecins de l’hôpital et le CNPTO. Pour se faire, les médecins coordinateurs, comme le Dr Zannad, entrent les données de l’organe en question (groupe sanguin, âge, maladies éventuelles…) dans un logiciel qui grâce à un algorithme fait figurer les personnes qui correspondent à ces critères.

Le receveur qui sera sélectionné sera appelé tout de suite, à n’importe quel moment de la journée, pour subir sa transplantation et espérer de meilleurs jours.

Au 10 octobre dernier, 1649 patients étaient inscrits sur la liste d’attente d’une greffe de reins. Un chiffre similaire pour les patients souffrant de maladies cardiaques ou hépatique, mais les délais sont moins longs puisque ces malades ne peuvent pas patienter plus d’un an.

A noter que le tout le parcours entre le prélèvements et la greffe est pris en charge gratuitement par l’Etat aussi bien pour le receveur que pour le donneur ou sa famille.

Sensibilisation massive

Pour le moment, seuls 12.000 Tunisiens et Tunisiennes ont mentionné leur volonté d’être donneur d’organes sur leur CIN. Un chiffres que le CNPTO souhaite voir augmenter afin de sauver le maximum de vies. « Nous nous déplaçons  dans toutes les régions de la Tunisie pour promouvoir le don d’organes, car cette question est éminemment importante.

Lors de leurs déplacements, les professionnels organisent également des réunions avec les agents de la police pour leur expliquer l’importance de la mention du don d’organes sur les cartes d’identité. « Nous avons un grand nombre de citoyens qui nous appellent pour nous prévenir que certains agents essayent de les dissuader de remplir le formulaire dédié », indique le Dr Boutheïna Zannad. D’où la nécessité de leur expliquer l’importance de ce geste. « Depuis nous avons de plus en plus de policiers qui proposent eux même aux personnes qui renouvellent leurs documents la possibilité de devenir donneur. C’est une grande réussite pour nous », indique-t-elle.

Formulaire à remplir pour le don d’organes

La question religieuse est également un frein au don d’organes. En effet, beaucoup de Tunisiens estiment que le don d’organe constitue une sorte de pêché dans l’Islam sans vraiment connaitre vraiment les textes sacrés qui y sont relatifs. C’est pour cela que, le centre national de la promotion de la transplantation d’organes fait participer un Cheikh pour expliquer que les textes du  Saint Coran ne sont pas en contradiction avec le prélèvement d’organes.

« Nous prévoyons également de faire une conférence avec tous les Imams du Grand-Tunis afin qu’ils parlent du don d’organes lors des prêches de la prière du vendredi », ajoute Dr Zannad.

« Il faut en parler le plus possible pour toucher le maximum de personnes », -a-t-elle ajouté.

Record en 2022

Après un ralentissements significatif à cause de la pandémie de Covid-19, le don d’organe repart actuellement à la hausse. Ainsi, en 2022, 18 opérations de prélèvements multi-organes ont été réalisées. Un record, selon Mme Boutheina Zannad. « Ces prélèvements nous ont permis de concrétiser 33 greffes rénales, 10 greffes cardiaques et 6 greffes hépatiques.

En plus des organes, le CNPTO s’attache a travailler sur le prélèvement de tissus. Par exemple, le centre réalise la conservation de résidus opératoires des têtes fémorales. « Quand un patient est opéré du col du fémur, après son consentement, nous récupérons l’os, qui est normalement destiné à la poubelle. Nous faisons des examens médicaux pour vérifier toute éventuel problème, puis nous le conservons et le proposons à des orthopédistes qui en ont besoin pour certaines opérations », explique Dr Zannad.

Autre tissu prèlevable, le placenta d’une mère qui a accouché et qui est lui aussi destiné à la poubelle. Toujours avec le consentement de la patiente, les équipe du CNPTO , le prélève, le traite en laboratoire pour en faire des pansements pour les greffes de cornée (œil).

« Nous sommes actuellement en train de travailler sur le prélèvement de valves cardiaques et de fragments artériels », conclut le Dr Boutheina Zannad.

Wissal Ayadi