La Tunisie face à une crise énergétique inextricable, le syndicat de la STEG pointé du doigt

14-03-2022

Les espoirs d’une fin de conflit entre la Russie en Ukraine semblent vains. L’économie mondiale s’affole de plus en plus. Dans le monde entier, de l’Europe aux Etats-Unis, la flambée des prix de l’énergie pose des défis majeurs…

Et la Tunisie n’est pas en reste et les conséquences de cette guerre pourraient être bien pires pour notre pays à cause d’une économie déjà en berne. La crise énergétique qui se profile affectera significativement l’équilibre des finances publiques.

Quelques chiffres

Le budget de 2022 a été estimé sur la base d’un prix du baril à 75 dollars (en moyenne sur l’année). Aujourd’hui frôle les 110 dollars. Une hausse d’un dollar du prix du baril de pétrole coûte à l’État environ 140 millions de dinars (43,3 millions d’euros). D’autant plus que d’importantes ressources en devises seront désormais consacrées aux importations d’énergie.

Bien avant le conflit, l’Etat avait annoncé que les prix à la pompe allaient augmenter de 50 millimes chaque mois. Si l’Etat devait maîtriser son enveloppe allouée à la subvention de l’énergie, il semble que cela sera difficile du fait de cette hausse vertigineuse.

Difficile de savoir où la Tunisie trouvera les ressources financières nécessaire afin de contrer ces conséquences, alors qu’elle peine à alimenter son budget.

Comme dans le reste du monde, la seule solution sera d’augmenter encore plus les prix du carburant, afin d’amortir un tant soit peu la compensation des hydrocarbures, qui représente environ 40% de l’enveloppe allouée à la subvention.

Le déficit énergétique de la Tunisie a été multiplié par 10 en 8 ans et par conséquent près de la moitié de nos besoins en énergie primaire doivent être sécurisés par l’importation, ce qui rend notre sécurité d’approvisionnement de plus en plus fragile sans oublier les autres impacts secondaires en ce qui concerne la subvention de l’Etat et les dépenses en devises étrangères.

Par ailleurs, le mix électrique actuel de la Tunisie est à son tour très peu diversifié avec une forte dépendance au gaz naturel qui représente actuellement environ 97% de la consommation du secteur électrique ce qui pose un sérieux problème de sécurité de production électrique étant donné que les ressources nationales en gaz naturel produites sur le territoire tunisien n’arrivent actuellement à couvrir qu’environ le 1/3 du besoin national et le reste provient de l’Algérie sous forme d’importation ou de redevance.

Ainsi, le recours aux énergies renouvelables apparait comme une urgence pour la Tunisie.

La Tunisie à la traîne…

« Historiquement, la Tunisie a été un des précurseurs en terme d’énergie renouvelable. La première centrale éolienne a vu le jour dans les années 70. A l’époque notre balance énergétique était positive et le baril de pétrole était à environ 15 dollars. Ce qu’on produisait en énergie fossile suffisait largement et on pouvait même exporter », nous rappelle Omar Ben Hassine Bey, expert tunisien en énergies renouvelables.

Il explique que c’est à partir de 2001, que la balance énergétique de la Tunisie a commencé à être négative. A l’époque, les principaux gisements, notamment celui d’El Borma, ont été moins productifs…alors que pendant ce temps-là, la demande en énergie électrique n’a cessé de croître. « Nous avons une croissance de la demande électrique de 6% par an. L’électrification dans les villes est à 100%, dans les campagnes elle est à plus de 95%. Ce qui a fait exploser la demande en énergie électrique », indique l’expert.

Ainsi, depuis 2013, la Tunisie s’est engagée dans une nouvelle stratégie de transition énergétique élaborée suite au débat national sur l’énergie mené en 2013. Elle vise essentiellement la réduction du déficit énergétique et de la dépendance énergétique du pays à travers un ensemble de mesures dont notamment le développement massif des énergies renouvelables et l’accélération des projets d’efficacité énergétique.

En 2015, la loi sur les énergies renouvelables est parue, mais depuis rares sont les projets qui sont arrivés au bout. « D’ici 2030, nous devons atteindre 30% de production d’énergie renouvelable (3800MW). Jusqu’à présent, nous n’avons produit que 31 », déplore Abdellatif Hammouda, président du Groupement professionnel des producteurs d’énergies renouvelables relevant du syndicat CONECT.

Selon nos deux interlocuteurs, la cause principale viendrait du blocage entrepris par le syndicat des travailleurs de la STEG. La direction du syndicat dénonce en effet la loi transversale pour l’amélioration du climat des affaires promulguée par le gouvernement Chahed en 2019, qui stipule « qu’il est possible de constituer une société d’autoproduction dont l’objet se limite à la production et à la vente de l’électricité à partir des énergies renouvelables ». Les syndicats y ont perçu une concurrence déloyale, des surcoûts énormes au niveau du transport sur son réseau et un début de privatisation du secteur de l’électricité.

« Nous avons encore aujourd’hui des blocages sur les projets en  autorisation . Le syndicat de la STEG a eu pour réaction de refuser le raccordement d’une Centrale photovoltaïque de 10 MW réalisée dans la région de Tataouine par le consortium ENI-ETAP… Et l’Etat laisse faire pour éviter d’entrer en confrontation avec les syndicats », affirme Omar Ben Hassine Bey.

Entre 2015 et 2020, 1000MW auraient du être mis en service. Aujourd’hui il y a 4 projets sous  régime d’autorisation de 396 MW entre éolien et solaire et qui sont dans l’attente de mise en service. « Si l’Etat avait permis leur mise en service, il aurait économisé 400 millions de dinars par an sur le coup du gaz pour produire un kilowattheure.  Le syndicat de la STEG sont en train de commettre un crime contre la Tunisie », ajoute-t-il.

Aujourd’hui la Tunisie paye le gaz au prix fort en devises auprès de l’Algérie. Le coût du gaz pour un MW est aux alentours de 400 millimes. Alors que si nous développions les énergies renouvelables, il nous en coûtera environ 80 millimes, selon les experts.

A cause de ces problèmes, beaucoup d’entreprises qui ont voulu investir en Tunisie sont parties vers d’autres pays freinant inexorablement la transition énergétique du pays.

« Avec la crise en Ukraine, le prix du kilowatt pourrait doubler car le prix du gaz et du pétrole augmentent », souligne Abdellatif Hammouda.

Compte-à-rebours…

Malgré leur indépendance énergétique, l’Algérie se prépare depuis plusieurs année à sa transition énergétique. « L’Algérie prédit que dans 5 ans elle n’aura plus de gaz naturel. L’Etat se prépare ainsi à un plan solaire énorme, sans commune mesure, et a déjà inauguré il y a quelques mois une centrale qui produit 120 mégawatt », indique Hammouda.

C’est donc une guerre énergétique qui nous attend. Si la Tunisie ne réagit pas en développant des centrales de production d’énergie, dans quelques années nous tomberons dans le délestage… c’est à dire que nous serons confrontés à des coupures fréquentes d’électricité.

Wissal Ayadi