Tunisie : L’annonce du gouvernement est loin d’apaiser les inquiétudes des agriculteurs, qui réclament plus !

09-09-2022

Le 8 septembre dernier, les ministères du Commerce, de l’Industrie, et de l’Agriculture  ont annoncé le maintien des prix des engrais chimiques destinés à la production agricole, pratiqués au cours de la saison écoulée, 2021-2022.

Une décision qui a été prise malgré la hausse des cours des intrants nécessaires à la fabrication des engrais, notamment, l’ammonitrate, qui a enregistré une flambée record sur le marché mondial.

Une bonne nouvelle pour les agriculteurs tunisiens qu’il faut selon eux tout de même nuancer car il y a d’autres problèmes relatifs au secteur des grandes cultures qui affectent la production céréalière du pays.

Pour Maidani Dhaoui, président du syndicat des agriculteurs de Tunisie, (SYNAGRI), ce n’est pas seulement une question de gel du prix des engrais. « Pour moi ce ne sont que des discours académiques qui n’ont aucune valeur. Les annonces sont une chose et les actions une autre », nous dit-il.

Toujours selon le syndicaliste, le principal problème demeure dans la disponibilité des engrais et notamment du phosphate super 45. « Le super 45 est la première étape dans la chaîne de  production de céréales et il est en rupture alors que c’est un produit que nous produisons nous même. Il n’est disponible qu’au marché noir à des prix qui dépassent l’entendement », a-t-il déploré.

En effet, les producteurs céréaliers se plaignent régulièrement du phénomène de spéculation autour des engrais. A cet égard, au moment où les autorités annonçaient le gel des prix des engrais, les brigades de contrôle économique relevant de la Direction Régionale du commerce à Sidi Bouzid ont saisi une quantité de 1000 tonnes de superphosphate destiné à l’usage agricole, stockée dans un entrepôt privé appartenant à un fournisseur de la région.

« Ce qui s’est passé à Sidi Bouzid n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il faut savoir que 1000 tonnes de superphosphate permet l’approvisionnement de 10 gouvernorats. En 2014, nous avions déjà reçu des plaintes d’agriculteurs qui ont accusé le même individu de diminuer les quantité de superphosphates au moment de la vente des sacs. Sur un sac de 50KG il enlevait à chaque fois 4 ou 5 kilos. Malgré nos plaintes auprès de la justice rien n’a été fait, la preuve est qu’il agit encore aujourd’hui en toute impunité ».

D’après Maidani Dhaou, cela montre qu’il y a un manque de contrôle de la part des autorités voire des actes de corruption au sein même de l’Etat qui permettent la multiplication de ces actes. 

« Il y a des mafias, des lobbys autour du secteur des engrais. Donc ce n’est pas le tout de geler les prix, il faut plus de contrôle afin de punir ces personnes qui pratiquent la spéculation », déplore-t-il.

La Tunisie est est un des leader mondiaux dans la production de phosphate, malgré cela le pays est dans l’obligation d’en importer, faute d’une production suffisante. « La production de phosphate est à la merci des syndicats et des négociations sociales. La raison principale des problèmes d’approvisionnement en phosphate demeure dans les grèves, les menaces d’arrêts de production et les chantages pratiqués par les syndicats. Le manque de phosphate nuit à toute la chaine de production, à la récolte et donc à l’autosuffisance », ajoute Dhaoui.

En effet, la réussite de la saison agricole dépend essentiellement de la disponibilité des engrais et notamment du DAP. « Nous consommons environ 29 millions de quintaux de céréales alors que nous n’en produisons que 7 millions. Il faut que l’Etat comprenne que aujourd’hui, au niveau mondial, nous sommes dans une guerre alimentaire », conclut le chef de file du SYNAGRI.

C’est ce que nous confirme, Imed Ouadhour, producteur céréalier dans la région de Bizerte. « On nous demande d’augmenter nos capacités de production afin de garantir l’autosuffisance, mais on ne nous donne pas les moyens de le faire. Il y a une grande différence entre les discours et la réalité du terrain », nous dit-il.

L’agriculteur préconise à cet égard de mettre à disposition de chaque région un stock stratégique d’au moins 50% des besoins des agriculteurs en engrais et ce dès le mois de septembre afin d’éviter les pénuries. « Cela permettra également d’éviter le phénomène de spéculation. Quand les  prix des engrais augmente, l’agriculteur préfèrera diminuer les surface de culture afin de rentrer dans ses frais et donc au détriment de la récolte », affirme Ouadhour.

Par ailleurs, le céréalier, émet certaines réserves quant à la véracité de l’annonce des trois ministères de geler le prix des engrais. « Le communiqué qui a été publié n’est ni signé, ni cacheté… donc non officiel. Nous voulons de vraies garanties, pas juste des discours », a-t-il lancé.

Outre les engrais, Imed Ouadhour insiste sur le fait que la Tunisie doit augmenter le rendement des grandes cultures. Pour cela, la mise à disposition en quantité suffisante de semences sélectionnées en fonction des spécificités des sols de chaque région, est essentielleu.

Wissal Ayadi