Espagne, Italie et Turquie : Destinations de prédilection pour les Tunisiens souhaitant étudier à l’étranger

15-09-2022

Près de 10 800 étudiants non boursiers ont choisi d’étudier à l’étranger, durant cette année universitaire 2022/2023. Un chiffre record, arrêté à la date du  08 septembre, par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, nous informe le service d’inscription universitaire à l’étranger au sein du MES, dans un entretien accordé à Gnetnews.

«  D’après le nombre des attestations déposées auprès de ce service, les nouvelles destinations privilégiées par les  étudiants tunisiens sont désormais l’Italie, l’Espagne et la Turquie, vu les restrictions imposées par la France concernant les procédures d’octroi de visa, et les retombées de la guerre en Ukraine…Par ailleurs, la hausse du nombre de ces jeunes souhaitant poursuivre leurs formations ailleurs, revient à leur passage par des agences d’accompagnement qui leur facilitent les procédures, en s’occupant de la paperasse, l’apprentissage de la langue et la préparation des dossiers de candidatures qui vont être appuyés par ces intermédiaires. Pour bénéficier de leurs services, ces agences proposent un tarif de base de 2500 DT. Il s’agit en effet, d’un commerce juteux, qui fait profiter aussi plusieurs imposteurs… », nous dévoile la chargée des attestations d’inscription au sein du MES.

Essia, une diplômée en sciences infirmières, a été victime d’une agence d’accompagnement des techniciens de la santé souhaitant travailler dans des établissements sanitaires en Allemagne. Elle nous a confié avoir payé une avance de 2000 DT pour apprendre l’Allemand dans une école annexe, exigée par l’agence. « J’ai fait 4 séances avec un professeur de langue incompétent imposé par l’intermédiaire. Entretemps, j’ai préparé mes papiers sans recevoir aucune suite à ma demande de la part du directeur…En menant mon enquête, il s’est avéré que c’était un arnaqueur qui n’a fait voyager que 2 personnes depuis le lancement de son projet il y a quelques années…Une déception qui m’a couté toutes mes économies… »,  raconte-t-elle amèrement.

D’après la responsable de ces dossiers de candidature au sein du MES, plusieurs familles se sont faites arnaquer par des agences d’accompagnement, contre de fausses promesses…D’autres agences incompétentes, chargées de faire voyager ces élèves/bacheliers et diplômés, réussissent à conclure une inscription à l’étranger mais compliquent le travail du MES, par des papiers faussement traduits, des données personnelles erronées, et d’autres informations falsifiées…Leur but ultime étant juste de recevoir l’argent de ces personnes qui tiennent à immigrer…

Mais, pour réaliser ce rêve à leurs enfants, celui de vivre à l’étranger, certains parents ont vendu leurs voitures, hypothéqué leurs maisons, emprunté de l’argent ou encore se sont endettés auprès des banques. De grands sacrifices sont effectués pour que ces jeunes quittent le pays, pour fuir un avenir incertain et une crise économique sans précédent qui s’est accentuée avec l’apparition de la pandémie du covid-19 et le conflit russo-ukrainien, nous explique la responsable ayant requis l’anonymat.  « Le problème c’est que le nombre étonnant d’inscriptions universitaires à l’étranger que la Tunisie a enregistré cette année, cache une autre réalité plus amère : une bonne partie des familles comptent sur leurs enfants pour voyager, et les rejoindre ensuite dans leur pays d’accueil, et y rester sans papier…Un fléau susceptible de causer de lourdes conséquences humaines et empoisonner en plus les relations avec ces pays… », a-t-elle averti.

Etudier/ Vivre à l’étranger, le revers de la médaille

Etudier à l’étranger est certes une opportunité pour s’ouvrir sur le monde, acquérir une formation de qualité, un diplôme international, et puis augmenter ses chances pour obtenir un contrat dans des pays où le taux de chômage est plus faible comparé à la Tunisie. Mais aussi, avant d’arriver à ces fins, il faudrait bien réussir sa vie estudiantine, en garantissant pour soi des conditions de vie convenables, et motivantes… « Pour vivre dignement en tant qu’un étudiant, loin de sa famille, il faut compter un budget de pas moins de 1200 euros, quand on est sur Paris », nous indique Sandra Bennani, présidente de l’association Moon&Stars, qui œuvre pour de l’accompagnement et de l’aide des tunisiens résidant à l’étranger en difficulté.

Dans un entretien accordé à Gnetnews, la vice-présidente de la fédération des travailleurs Tunisiens en France et la fondatrice de l’ONG Tunisian Woman Internatinal, a souligné que les cas les plus vulnérables à l’étranger sont les étudiants et les personnes sans papiers.

 « Vu que les étudiants n’ont pas forcément les moyens de payer le loyer, ou trouver un travail à temps partiel, et leurs parents ne peuvent pas souvent les aider, ils sollicitent l’aide des associations tunisiennes spécialisées, installées en France. Avec des dons, et de l’entraide au sein de la communauté tunisienne, on réussit souvent à les aider », rassure Sandra. Le problème en revanche, provient des diplômés, doctorants, et des personnes surqualifiées, comme les ingénieurs et même des cadres, qui choisissent de vivre sous le seuil de la pauvreté à l’étranger, ou d’accepter des petits boulots qui les dévalorisent, mais refusent de rentrer en Tunisie… ».

 Sandra Bennani, présidente de l’association Moon&Stars
Sandra Bennani, présidente de l’association Moon&Stars.

C’est le cas d’Iheb, un designer tunisien de 25 ans, qui vient d’entamer son master en infographie dans une université de renommée de Paris. Il s’est retrouvé sans bourse, ni revenu, et vit désormais dans une gare pas loin du 1er arrondissement. « Depuis 3 mois, je squatte chez mes amis le matin et le soir je dors dans la rue. Jusqu’à maintenant, je n’ai jamais dévoilé ce secret à mes proches. Je suis venu avec l’ambition de les rendre fiers, et je vais me sacrifier pour cet objectif. Je ne rentrerai pas tant que je n’ai pas réalisé mon rêve, de travailler en France…ça sera mon cadeau de reconnaissance pour tous les compromis que ma mère a fait pour moi… », nous confie Iheb.

Ce jeune homme partage son quotidien avec Tarek, un diplômé de 28 ans qui travaillait en tant que serveur, et qui a quitté la Tunisie via Lumpedusa, pour aller ensuite à Lyon. Les larmes aux yeux, il dit ne plus supporter les conditions de vie dans lesquelles il s’est retrouvé. « Je n’ai jamais quitté ma mère depuis ma naissance, j’avais un toit, une famille, un travail et une voiture. Mais je voyais tout noir, je m’attendais à un paradis dans ce pays. Je regrette, et je n’en peux plus de cette misère…Ce qui me démoralise le plus, c’est que même rentrer chez moi, est devenu un rêve irréalisable… », nous confie ce jeune tunisien sans papier.

En effet, ces cas de détresse se sont multipliés après la crise du Covid-19 et suite aux crises politiques et économiques qui suffoquent le pays. « Nous recevons tous les jours, des dizaines d’appel à l’aide de ces personnes. Malheureusement, les sans papiers ne peuvent pas bénéficier des aides sociales. Certains passent des années à travailler dans le noir, à partager des logements insalubres, et à accepter l’inacceptable dans l’espoir de régler leurs situations, au lieu de rentrer…Par ailleurs, seules les mamans et leurs enfants ont une chance sur deux d’être sauvées par les services d’assistance sociale, même en étant sans papiers. Les femmes divorcées ou abandonnées par leurs maris sont aussi éligibles par loi française », nous informe Sandra Bennani.

E.B