Tunisie : Les Frais bancaires trop élevés, au point de couvrir la masse salariale dans certaines banques (Louai Chebbi)

08-11-2023

Le secteur bancaire fait l’objet de débats en Tunisie concernant notamment les frais bancaires imputés aux clients, jugés trop couteux ainsi que des procédures de réclamations inefficaces.

Dans ce sens, le Conseil bancaire et financier (CBF) vient de mettre à disposition des clients des banques et des établissements financiers un dispositif de recueil des réclamations venant compléter le dispositif réglementaire déjà mis en place.

De son côté, Marouane Abbassi, le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie a évoqué récemment  la hausse excessive des frais des services bancaires, signalant que la BCT était en train de mettre les dernières touches à la préparation d’une circulaire, organisant ces tarifs.

Pour en savoir plus sur cette question, nous nous sommes adressés à Louai Chebbi, président de l’Association de Lutte contre l’Économie de Rente en Tunisie (ALERT).

Louai Chebbi / Président de l’association ALERT

Des réclamations qui ne sont pas prises au sérieux par les banques

Les litiges et les incidents sont nombreux dans le système bancaire. La question des réclamations est considérée comme étant para-légale. Il s’agit d’une manière  de régler les incidents et les problèmes éventuels entre une banque et un client sans passer par le circuit judiciaire, qui est un processus lourd et coûteux.

Afin de simplifier ces procédures, un dispositif de recueil des réclamations venant compléter le dispositif réglementaire déjà mis en place a été lance par le Conseil bancaire et financier. Il s’opère de cette manière:

– Un numéro vert pour la réception des éventuelles réclamations des clients concernant des sujets qui n’ont pas été résolus via les canaux classiques réglementaires. Il s’agit du 80 100 280 fonctionnel du lundi au vendredi de 7H45 à 17H30.

Un espace citoyen : des liens d’interactions sont disponibles sur les réseaux sociaux et sur le site officiel du CBF.

Ce dispositif a pour but de faciliter les démarches des clients des banques, de leasing et de factoring quant aux différentes requêtes restées en suspens. Il s’inscrit également dans un plan de renforcement de la proximité avec les différents clients des établissements bancaires et financiers afin de lever toute éventuelle équivoque.

Le traitement des réclamations est souvent dénoncé par les citoyens mais aussi par les association de défenses des consommateurs comme ALERT.

« L’association ALERT est en train de travailler à l’amélioration des procédures de réclamations avec les banques directement. Nous avons récolté pas moins de 1300 plaintes de citoyens. L’idée de faciliter ces réclamations est positive. Le problème c’est le sérieux du traitement de ces réclamations », déplore Louai Chebbi, président de l’ONG ALERT.

Des frais bancaires exorbitants pour un service médiocre

Louai Chebbi indique que les frais bancaires sont à des niveaux très hauts, mais que les services offerts en contrepartie par les établissements bancaires sont loin d’être à la hauteur. 

« En Tunisie, le problème est qu’il y a des services qui ne sont pas censés  être payants et qui le sont. C’est le cas pour le dépôt d’argent sous forme de chèques ou de virement. Une commission est aussi prélevée quand un client va retirer de l’argent dans un DAB d’une autre banque que la sienne, alors qu’il ne doit pas en être ainsi au vu du développement des systèmes d’information et de l’internet. On, continue de charger les clients comme si c’était fait manuellement comme il y a 30 ou 40 ans. C’est la raison pour laquelle les tarifs sont aussi élevés ».

Certaines banques arrivent à couvrir leur masse salariale uniquement avec les frais des services bancaires honorés par leurs clients, indique-t-il. C’est dire l’importance de ces frais. « Mais malheureusement les banques tunisiennes n’ont pas accès à l’ingénierie financière comme en Europe ou dans le monde occidentale, ni au Mobile Banking comme c’est le cas en Afrique de l’Est, qui pourraient justifier de tels tarifs. Le prix des services bancaires est complètement à la défaveur du client », relève-t-il.

Ce dernier ajoute que bon nombre de personnes  se plaignent de l’opacité des contrats, notamment en ce qui concerne la fermeture d’un compte en banque. « Le client n’est pas bien informé surtout en ce qui concerne les dépôts à vue et les dépôts à terme », souligne-t-il.

« Nous souhaitons que les choses changent de l’intérieur, mais nous avons très peu d’espoir », ajoute-t-il.  Dans ce sens, Louai Chebbi dénonce l’instauration d’un véritable « Cartel économique qui contrôle le secteur bancaire en Tunisie ». Il déplore notamment les participations croisées de partenaires dans plusieurs banques en même temps.

« De temps en temps, on peut voir des campagnes de sensibilisation auprès des banques qui appellent à revoir ces questions. Certaines réagissent positivement pour éviter les préjudices à l’encontre de leur notoriété, mais cela reste très rare. Il faut des solutions structurelles et non conjoncturelles », fait-il remarquer.

Renforcer le contrôle sur le secteur bancaire

L’association ALERT plaide pour la création d’une instance indépendante, du gouvernement et du secteur bancaire, capable de sanctionner les banques en cas de dépassements ou d’abus. Pour le moment, seule la Banque Centrale de Tunisie est à même de le faire, mais selon Chebbi, elle ne joue pas du tout son rôle en raison de la pression lobbysite du secteur bancaire. « La BCT constate, note, relève mais n’agit pas et à bien des égards on peut considérer qu’elle est en train d’organiser ce cartel et de lui permettre de vivre Â», dit-il.

Ainsi, la création d’une autorité indépendante devra être en mesure de sanctionner les comportements anticoncurrentiels des banques. A noter que la loi de la concurrence empêche le conseil de la concurrence, qui est lui aussi démuni de moyens techniques et financiers, de surveiller le secteur bancaire, laissant le monopole à la Banque centrale. « Ce monopole est nocif pour l’observation et la surveillance du secteur menant à des collusions. Beaucoup de ceux qui travaillent à la banque centrale vont travailler dans les banques et vice versa. Il s’agit d’un véritable pantouflage qui est observé entre les différentes institutions », poursuit le président de ALERT.

Louai Chebbi dénonce une sorte d’accord tacite entre le gouvernement, les banques et la Banques centrale. « Comme on l’a vu ces dernières semaines, l’Etat dépend des entrains des banques sur le marché local. C’est pour cela que le gouvernement assouplit les sanctions et le contrôle sur le secteur bancaire ».

Pourtant la Banque Centrale lance régulièrement des appels aux banques pour appliquer des gratuités de certains services, mais qui n’ont jamais été appliquées, car selon Louai Chebbi, il n’y a pas de concurrence entre les banques. « Normalement les banques ne doivent pas vivre des services bancaires. En Europe par exemple, les banques en ligne ont décidé de donner de l’argent aux clients pour les attirer, sauf qu’en Tunisie c’est le contraire. Plus le gouvernement va augmenter les impôts sur les banques, plus les banques font augmenter leurs frais bancaires. C’est donc finalement les citoyens qui payent les impôts des banques », conclut-il.

Wissal Ayadi