La Tunisie vise la neutralité carbone en 2050, ses entreprises devront dès lors s’adapter au durcissement de la réglementation européenne

01-03-2024

Dans un contexte mondial de prise de conscience croissante des défis liés au changement climatique, la Tunisie ne peut pas échapper à une transition vers une économie bas carbone.

La réduction des émissions de gaz à effet de serre, la promotion de l’efficacité énergétique et l’adoption de technologies respectueuses de l’environnement, sont les principaux piliers de ce cheminement vers un avenir plus sain.

Le point avec Safa Dridi, Business manager chez Green Way Systems, entreprise spécialiste en stratégie bilan carbone.

Qu’est-ce que l’économie bas carbone ?

L’économie bas carbone se réfère à un modèle économique qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à minimiser l’impact sur le changement climatique. Cette approche repose sur la transition vers des technologies et des pratiques plus durables, avec une utilisation plus efficace des ressources, une adoption accrue d’énergies renouvelables et une réduction de la dépendance aux combustibles fossiles.

« L’économie bas carbone est un écosystème qui réunit un ensemble d’activités qui entreprennent d’émettre moins de CO2. Ces entités peuvent être économiques, publiques ou individuelles », nous dit Safa Dridi, Business manager chez Green Way Systems, spécialiste en bilan carbone.

Parmi les caractéristiques fondamentales de l’économie bas carbone est la promotion des énergies renouvelables telles que l’énergie solaire, éolienne, hydraulique, géothermique et marine. Ces sources d’énergie produisent moins d’émissions de gaz à effet de serre par rapport aux énergies fossiles.

L’amélioration de l’efficacité énergétique est également un pilier essentiel de l’économie bas carbone. Cela implique l’utilisation plus judicieuse de l’énergie dans tous les secteurs, que ce soit dans l’industrie, les transports, les bâtiments ou l’agriculture.

L’économie bas carbone encourage aussi le développement et l’adoption de nouvelles technologies propres. Cela comprend des avancées dans le stockage d’énergie, les réseaux intelligents ou encore les transports électriques.

Elle favorise également l’adoption de modèles économiques circulaires, où les produits sont conçus pour être réutilisés, réparés et recyclés, réduisant ainsi la production de déchets.

« L’objectif global de l’économie bas carbone est de créer un équilibre entre le développement économique et la protection de l’environnement, contribuant ainsi à atténuer les effets du changement climatique », nous dit Mme Dridi.

Où en est-on en Tunisie ?

Depuis l’avènement de la convention cadre des Nations Unies signées en 1993, la question du changement climatique est devenue une priorité pour les Etats signataires. « C’est à partir de ce moment là que nous avons commencé à mettre en place des lois en faveur du climat et à imposer des restrictions pour les industriels afin qu’ils émettent moins de CO2 », souligne Safa Dridi.

Ainsi, la COP 28, qui s’est tenue à Dubaï en décembre 2023, s’est conclue avec un accord qualifié d’historique. Cet accord ouvre la voie à une transition progressive des économies nationales vers la Neutralité Carbone, rejetant l’utilisation des énergies fossiles au profit exclusif des énergies renouvelables.

La Tunisie s’est dotée quant à elle d’une Stratégie National de développement Neutre en Carbone afin d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cette stratégie est axée sur quatre secteurs, à savoir l’énergie, l’industrie, l’agriculture et les déchets.

En effet, les gouvernements peuvent jouer un rôle crucial en mettant en place des politiques et des réglementations visant à encourager les activités économiques respectueuses de l’environnement. Cela peut inclure des normes d’émissions, des incitations fiscales pour les technologies propres et d’autres incitations réglementaires.

Mais pour le moment en Tunisie, les incitations bien qu’existantes, restent timides. A titre d’exemple, l’importation des voitures 100% électriques est exonérée des droits de douane, leur taux de TVA est réduit à 7% et disposent d’un abattement de 50% sur les autres taxes comme la vignette et les droits de transmission.  Pour les voitures dites hybride bénéficient d’une réduction de 50% des droits de douane.

D’autres incitations fiscales, sous formes de crédits d’impôts concernent le secteur des énergies renouvelables comme l’énergie solaire et photovoltaïque.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

Depuis 2022, l’Union Européenne a mis un place le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou plus communément appelé taxe carbone. A compter de 2026, ce mécanisme obligera les entreprises européennes qui importent des produits polluants, fabriqués hors du continent, à payer une compensation pour les émissions issues de la production de ces produits.

« Les entreprises tunisiennes qui exportent vers l’Europe devront payer une taxe sur les émissions excessives de CO2 ».

À titre d’exemple, en France, depuis 2010, les entreprises industrielles sont tenues de procéder à l’évaluation de leur empreinte carbone pour quantifier leurs émissions de gaz à effet de serre, en se concentrant sur les scopes 1 et 2 du Bilan Carbone.

Le Bilan Carbone, composé de trois scopes distincts, englobe les émissions directes liées à l’activité (scope 1), la consommation d’énergie (scope 2), et les émissions indirectes non liées à l’énergie (scope 3). À partir de 2023, la prise en compte du scope 3 est devenue obligatoire pour les acteurs industriels.

« Dans ce contexte, le fournisseur tunisien se trouve intégré dans le scope 3 de l’entreprise française. En conséquence, cette dernière contraint son fournisseur à réaliser son propre bilan carbone, car le non-respect de ces normes pourrait entraîner des sanctions significatives. Ainsi, cet aspect est devenu un instrument de compétition entre les entreprises. Une société française favorisera un fournisseur émettant moins de CO2, les incitant à s’engager vers une économie bas carbone. Les sanctions en cas de dépassements notables ont acquis une importance significative. », nous explique Safa Dridi.

Depuis la mise en place de cette taxe, de nombreuses sociétés tunisiennes font de plus en plus attention à leurs émissions de CO2. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières en Tunisie se trouve actuellement à l’étape déclarative, permettant aux entreprises de s’adapter. Effectivement, ce n’est qu’à partir de 2026 que les industriels tunisiens seront tenus de payer des pénalités. « C’est un processus incitatif à la déclaration. Cette année, nous avons observé la première vague de déclarations. Certains industriels sont sensibles à cette démarche et adoptent des stratégies axées sur le bas carbone. En revanche, d’autres ne feront aucun effort tant que cela n’impactera pas directement leurs finances », conclut Mme Dridi.

Wissal Ayadi