L’Immobilier, un secteur en crise, des appartements ne trouvent pas acquéreurs !

10-06-2020

Devenir propriétaire en Tunisie est de plus en plus difficile. Le coût des biens immobiliers a doublé depuis la révolution de 2011. Pourtant l’offre et la demande existent bel et bien. En effet, les projets de construction ne cessent de fleurir, mais l’accession à la propriété se transforme peu à peu en un simple rêve pour de nombreux Tunisiens désireux d’acheter. Quel est l’état du secteur immobilier en Tunisie ? Pourquoi les prix sont-ils aussi élevés ? Fahmi Châabane, président de la Chambre Syndicale Nationale des Promoteurs Immobiliers répond à nos questions dans une interview exclusive.

En 2018, 6500 logements ont été construits en Tunisie, en 2019, pas plus de 4000 ont vu le jour. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le secteur de l’immobilier connait une crise importante.

D’après Fahmi Châabane, les difficultés émanent du fait que depuis 2013, l’Etat n’a pas su opter pour les bonnes orientations.

Des coûts de construction en hausse

Depuis 2011, le coût de l’immobilier a été doublé. Plusieurs facteurs expliquent cette hausse. Le premier, d’après Fahmi Châabane, porte sur l’augmentation du prix des matières premières. « L’Etat a arrêté de subventionner plusieurs produits comme l’énergie, le ciment, la brique, la céramique ou encore le marbre », nous dit-il.

Les augmentations ont également concerné le coût de la main d’œuvre. Aujourd’hui, un ouvrier qualifié demande à être payé 90 DT la journée. « Désormais, ils sont de plus en plus nombreux à pratiquer des prix aux m2 », déplore-t-il.

Par ailleurs, la Tunisie ne fabrique aucun équipement (interrupteurs, lumières, vitres, WC, etc), ils sont tous importés puis transformés ici. Avec la dévaluation du dinar, ces coûts sont forcément répercutés sur le prix de vente des biens immobiliers.

« Ces dernières années, il y a eu beaucoup de spéculation autour des terrains. Certains lots ont été vendus aux enchères par l’Etat, alors qu’ils devraient être réservés aux promoteurs », souligne le président de la CSNPI.

Une information confirmée par le rapport de l’agence de notation et de services financiers PBR publié en février dernier. Celle-ci indique dans son rapport que « le marché de l’immobilier  reste fortement limité par la rareté des terrains. La promotion immobilière privée est confrontée au renchérissement du foncier (dont l’indice général des prix a été multiplié par 3.2, sur les 20 dernières années), et ce, suite notamment à la pénurie de terrains destinés à la construction d’habitations dans les grandes agglomérations urbaines ».

« Il faut que l’Etat élabore une vraie stratégie pour l’habitat », indique Fahmi Châabane

Une pression fiscale forte

Autre facteur de l’augmentation des prix de l’immobilier, une panoplie de taxes imposée par l’Etat. La hausse du taux directeur (7.75% en 2019)  a fortement perturbé le marché de l’immobilier qui est très dépendant du levier financier aussi bien du côté des promoteurs que des acheteurs.

Les droits d’enregistrement ont également subi une augmentation. Avant 2013, ceux-ci étaient calculés « aux nombre de pages » (15dt par page). 

Depuis, le mode de calcul a été changé par le ministère des Finances, il est désormais établi selon des paliers. Pour un bien qui ne dépasse pas les 300.000 dt un droit fixe s’applique. Entre 300.000dt et 500.000dt les droits d’enregistrement sont de 3%. A partir de 500.000dt, il faut ajouter encore 2% et au dessus de 1 milliard il faut encore ajouter 4%.

Du côté des acheteurs, il y a aussi des difficultés quant à l’accès à la propriété. Hormis la hausse des prix, vient également la capacité de remboursement de ces biens. En effet, les banques n’hésitent pas à pratiquer des taux d’intérêts importants qui freinent dans de nombreux cas, l’achat d’un appartement ou d’un terrain, alors même que le pouvoir d’achat des Tunisiens ne cesse de baisser. « Dans le coût de l’emprunt, il y a la TMM à 7,6%, le taux d’intérêt à environ 4% et l’assurance à 1%. En tout, il y a une pression fiscale de presque 13% pour les acheteurs », indique Châabane.

« Programme 1er logement »

Afin de faciliter l’accès au premier logement pour les ménages, l’Etat a mis en place une action, qui en vitrine paraît alléchante. Sous le gouvernement de Youssef Chahed, en 2017, l’action « 1er logement » a vu le jour.

Le principe est simple : 80% du financement est assuré par les banques, les 20% restants proviennent d’un crédit d’aide auprès de l’Etat. Cette aide, à hauteur de 200 millions de dinars a permis de réserver 7000 logements pour cette opération.

Mais le succès n’a pas été au rendez-vous car les conditions d’accès étaient trop restrictives. En effet, Fahmi Châabane explique que « par exemple les femmes ou les hommes célibataires ou divorcés ne pouvaient pas bénéficier de ce programme ». Les conditions ont donc été revues pour inclure ces catégories et également augmenter le crédit d’aide alloué par l’Etat, le portant à 250 millions de dinars en 2019.

« Aujourd’hui, sur les 250 millions de dinars d’aide de l’Etat seuls 30 millions ont été dépensés soit 1000 logements. Il reste 6000 appartements dédiés à ce programme », nous dit Châabane.

Il ajoute par ailleurs qu’au moment où les conditions d’accès ont été assouplies, l’Etat  a imposé aux promoteurs une TVA de 13%…

Propositions

C’est un véritable cri de détresse que lance le président de la chambre syndicale nationale des promoteurs immobiliers. Ainsi, il propose 4 grands sujets de réflexion pour sortir de l’agonie.

D’abord la chambre souhaite un retour de la TVA à 7% (elle est actuellement de 13%).

Elle réclame également  un retour à l’enregistrement des biens à droit fixe et non par pallier.

Les promoteurs immobiliers appellent aussi à la mise en place d’un taux de faveur, appelé taux du marché immobilier (TMI) ne dépassant pas les 3,5% pour les crédits immobiliers et ceux accordés aux promoteurs.

Et enfin, afin d’encourager les étrangers à acheter des biens immobiliers, Châabane demande la suppression de « l’autorisation du gouverneur » pour toute acquisition. Et pour cause, cette procédure peut durer jusqu’à 3 ans.

Wissal Ayadi