Nabeul: Les forages de puits illicites se poursuivent en toute impunité alors que la région meurt de soif (Reportage)
Comme expliqué dans une récente enquête réalisée par Gnetnews il y a quelques semaines, la Tunisie meurt lentement de soif. D’années en années, les ressources naturelles en eau se font de plus en plus rares…
Cette situation est due à la surexploitation des nappes phréatiques et profondes par le secteur agricole. Ce dernier utilise 80% de ces ressources.
Une situation alarmante et un combat que le ministère de l’Agriculture, de la Pêche et des Ressources Hydrauliques a décidé de mener grâce à l’appui technique de la coopération allemande, GIZ, à travers le programme A-RESET.
Afin de comprendre les réelles causes de ce problème, nous avons suivi les équipes du programme A-RESET dans une de leur visite de terrain. Nous nous sommes rendus dans la gouvernorat de Nabeul à la rencontre des différents acteurs du secteur de l’eau.
Contexte
Le gouvernorat de Nabeul est connu pour son importante activité agricole. Agrumes, tomates, légumes…une activité qui nécessite une consommation d’eau importante pour l’irrigation de ces culture gourmandes en eau.
Le gouvernorat dispose de 5 nappes profondes qui accumulent a elles-seules 213 millions de m3 d’eau: Grombalia, Côte orientale, Nabeul/Hammamet, Takelsa, Haouaria.
Elle sont toutes surexploitées. Pour exemple, celle de Grombalia dispose de 9 millions de m3 d’eau, sauf que 24 millions de m3 sont exploités…soit une surexploitation de 150%. Une situation intenable qui risque d’assécher complètement la zone.
Par ailleurs, la région est également alimentée en eau par ce qu’on appelle les « Eaux du Nord », à travers l’Oued Majerda. C’est le CRDA qui gère la répartition de l’eau entre les agriculteurs grâce à un système de rationnement qui ne cesse de baisser au fur et à mesure des années.
Afin de pallier à ce manque d’eau les agriculteurs ont recours à des forages. Le gouvernorat de Nabeul étant classé en zone de sauvegarde, l’octroi des autorisations afin de disposer d’un forage sont très limités. Face à cette situation, la majorité d’entre eux ont creusé des puits dits illicites.
Rien que dans la zone de Grombalia, les experts estiment qu’il existe 600 puits illicites. Sur tout le gouvernorat ce chiffres se situe aux alentours de 1600. « Ce n’est qu’un chiffre approximatif, cela peut être le double, voire même le triple! », nous explique Manfred Matz, Chef de projet du programme « Eau » à la GIZ.
Ces opérations illégales ont mené à un rabattement significatif des nappes, creusant de plus en plus le déficit en eau de la région.
Opération de piézométrie
Afin d’évaluer plus précisément l’étendue de ce rabattement, le CRDA de Nabeul effectue deux fois par an des opérations de piézométrie. Il s’agit de mesurer les nappes phréatiques et profondes à l’aide d’une sonde plongée dans un puits de surface et un forage.
Nous nous sommes donc rendus à Bouargoub. Les résultats de la piézométrie sont alarmants. « La sonde à atteint l’eau à 58 mètres de profondeur. Nous avons perdus 2 mètres depuis le dernier test il y a 10 mois », indique Lotfi Boujmil, Chef arrondissement chargé des ressources en eau au CRDA de Nabeul.
Plus grave encore, en l’espace de seulement 15 ans, la nappe a subit un rabattement de 23 mètres.
Ce rabattement a plusieurs conséquences, celle notamment de la salinisation de l’eau. Samir Gabsi est le chef arrondissement chargé du périmètre public irrigué au sein du CRDA de Nabeul. « La salinisation de l’eau nuit à la rentabilité des cultures », nous dit-il. A cet égard il explique que dans certaines nappes le taux de salinisation peut atteindre les 3 grammes de sel, alors qu’il devrait être au maximum de 1,5 grammes.
Empêcher les forages illicites
Lors de notre visite nous avons rencontré Bayrem. Il est agriculteur et dispose d’une exploitation de 3,5 hectares d’orangeraies à Menzel Bouzelfa. Il est également président d’un Groupement de développement agricole qui regroupe plusieurs exploitants.
Malgré la présence des autorités il n’hésite pas à avouer qu’il a été contraint de forer un puits illicite. « Face à la sécheresse des années 2016, 2017 et 2018 et face à la baisse de la distribution des eaux du nord j’ai foré un puits pour sauver mon exploitation ». Il explique que sans ce puits sa récolte ne serait que de 40 tonnes alors qu’avec le sondage, il atteint les 140 tonnes. « Tous les agriculteurs de la région dispose d’un puits illicite, certains en ont même plusieurs! », ajoute-t-il.
Il explique son geste par la lourdeur des démarches administratives pour le forage d’un puit légal. « Quand vous faite une demande, il faut attendre 2 ans pour avoir une réponse qui pour la plupart du temps est négative et sans raisons explicites. Alors plus personne ne prend la peine de demander la permission », lance-t-il.
Plusieurs ordonnances de fermeture ont été émises par les autorités locales pour fermer ces puits. Mais à chaque fois, ces décisions n’ont pas été appliquées, craignant des émeutes sociales de la part des exploitants. Ainsi, le forages de puits illicites continuent et ce en toute impunité.
La maîtrise de l’eau est en enjeu majeur pour les générations à venir…d’où l’importance d’un dialogue social avec le secteur agricole la nécessité de trouver des alternative à ce fléau.
Retrouvez dans la vidéo ci-dessus, notre reportage dans la région de Nabeul.
Wissal Ayadi