Tunisie : L’année scolaire sauvé, mais l’école publique a besoin de réformes radicales

25-05-2023

Un accord qui sonne comme la fin d’un long calvaire. Après plusieurs mois de négociations, la commission administrative du syndicat général de l’enseignement secondaire a décidé ce lundi de mettre un terme à la rétention des notes qui dure depuis le premier trimestre, après être parvenu à un accord, avec le ministère de l’Education.

Pour les élèves et leurs parents, c’est un Ouf de soulagement, mais qui selon eux arrive trop tard. Les préjudices moraux et scolaires sont là et ce n’est pas à quelques semaines de la fin de l’année qu’ils s’effaceront.

Mme Hayet Chourabi, parent d’élèves engagée et Ridha Zahrouni, président de l’Association Tunisienne des parents et des élèves (ATUPE) ont bien voulu livrer à GnetNews leurs sentiments après ce dénouement.

« Une loi pour protéger élèves et parents ! »

Dans un précédent article c’était le cœur serré que Mme Hayet Chourabi, mère de deux enfants, nous parlait de son ras-le-bol et du stress qui l’animait elle et ses enfants quant au dénouement de l’année scolaire.

Aujourd’hui c’est toujours dans le même état qu’elle se confie à GnetNews, car même si les notes ont été finalement rendues, le sentiment d’amertume est toujours là.

« Nous ne sommes pas contents car cette décision arrive beaucoup trop tard. Ce dont nous avons besoin c’est de voir le niveau des élèves tout au long de l’année pour évaluer leurs points faibles et forts. Si leur accord a été trouvé à la dernière minute, de notre côté cela fait depuis le début de l’année que nous attendons et cela n’a aucun intérêt pour les enfants d’avoir leurs notes de l’année à la fin », nous dit-elle.

Mme Hayet, se contentera d’un « c’est toujours mieux que rien », la même formule depuis des années. « Ce qui est affligeant dans cette histoire c’est que ce n’est pas la première fois que ça arrive et ce ne sera pas la dernière fois tant que l’on aura pas réglé les problèmes qu’il y a entre les syndicats et le ministère de l’Education qui prennent à chaque fois nos enfants en otage », déplore-t-elle.

Ainsi, selon cette parent d’élève engagée, il faut la promulgation d’une loi qui protège les enfants et les parents de ce genre de situation, que ce soit en cas de grève ou de rétention de notes.

« Cette loi permettra de laisser les élèves et leurs parents en dehors des différends qu’il y a entre les syndicats et le ministère. Cette loi doit émaner du président de la république, qui est censé être le gardien de la défense du pays et de ses enfants », relève Mme Chourabi.

« Sans des mesures définitives, le niveau continuera chaque année de baisser et ce sera la mort de l’école publique et de l’avenir de nos enfants », poursuit-elle. Elle explique par ailleurs que tout le monde est perdant dans cette histoire : les enseignants qui ont encore de l’espoir, les enfants, les parents et l’avenir du pays tout entier.

Elle déplore une « politisation » de l’école et « des enfants servant d’armes pour les syndicats », insistant sur le fait que la survie de l’école est une question de sécurité nationale. « Si l’école ne fonctionne plus, c’est l’espoir d’un avenir meilleur qui meurt avec et nous assisterons impuissants à l’explosion de l’immigration illégale », relève-t-elle.

Enfin la mère de famille s’interroge: « Est ce que le jeu en vaut la chandelle ? Je ne pense pas au vu du contenu de l’accord qui a été conclu ».

Tout ça pour ça…

Selon Ridha Zahrouni, le président de l’Association tunisienne des parents et des élèves, la seule chose positive qui ressort de cette décision est l’assurance que les élèves pourront passer les examens nationaux, surtout le baccalauréat, comme prévu.

Pour rappel, l’accord conclu concerne l’augmentation de la prime pédagogique de 300 dinars répartis sur trois ans, à partir du mois de janvier 2026, 2027 et 2028.

Or pour Mr Zahrouni, la finalité de cet accord n’est rien par rapport aux préjudices subis.

« Cet accord n’apporte aucune plus value. Qu’est ce que sont 300DT sur trois ans? Le contenu de l’accord n’aurait pas du nécessiter tout le temps perdu et ne vaut rien devant les préjudices qu’on subit les élèves et leurs parents », nous dit-il.

Dans une autre lecture de cet accord, Zahrouni constate amèrement que les syndicats se sont focalisés sur eux même seulement sans prendre en compte les impacts négatifs qu’il y a eu sur les élèves et leurs parents.

« Or, l’enjeu crucial, c’est de savoir comment remettre sur la bonne voie le système éducatif public en Tunisie pour assurer l’avenir de nos enfants et faire face aux enjeux économiques du pays. Tout cela a été éludé pour répondre à des demandes purement financières. Et il ne faut pas oublier que cela fait 7 ans que nous subissons les mêmes problèmes. Il serait grand temps de prendre des décisions claires et tranchées », ajoute le président de l’ATUPE.

Ce denier rappelle également que la réponse du syndicat de l’enseignement secondaire ne concerne qu’une petite partie des élèves (120.000 élèves). « Pour le primaire, nous n’avons pas encore d’échos quant à la conclusion d’un accord avec le syndicat de l’enseignement de base, soit sur l’avenir de quelques 1,2 millions d’enfants ».

« Il faut réformer d’urgence le système éducatif »

Dans un premier temps, Ridha Zahrouni indique qu’il faut une prise de conscience de la gravité de la situation en se penchant sur les indicateurs qui sont le décrochage scolaire qui concerne 100.000 élèves, le taux de réussite aux examens nationaux qui est situé au quart du taux moyen, les pertes économiques, culturelles sociales et surtout matérielles au nivaux des familles, car « nous sommes en train en réalité d’investir dans l’ignorance et pas dans l’éducation », dit-il.

Il appelle également à sortir de cette dualité de la gestion du système éducatif, considérant que le  sujet de l’éducation est d’intérêt national et concerne plusieurs parties et non pas seulement le ministère et les syndicats.

« Il faut arrêter de cantonner la gestion de l’école à la gestion des crises afin de mettre en place une stratégie claire », souligne le président de l’ATUPE.

Dans ce sens Ridha Zahrouni préconise d’institutionnaliser la politique de réforme de l’école et de rendre actif le Conseil supérieur de l’éducation en le dotant d’une composition adéquate aux exigences. Ce conseil sera chargé de la mise en oeuvre des politiques dans le domaine de l’éducation.

« Une stratégie se fait non pas avec l’annonce de moyens, mais avec l’annonce d’objectifs qui permettront de savoir ce que l’on veut faire de l’école et comment nous la voulons. Elle doit se faire également à tous les niveaux, c’est à dire du pré-scolaire jusqu’à l’enseignement supérieur », conclut-il.

Wissal Ayadi