Tapisserie tunisienne : Entretien avec Ibtissem Zid autour d’un patrimoine riche et diversifié

20-05-2021

La Tunisie est réputée pour son savoir-faire en matière de tapisserie, Mergoum, Kilm, tapis à nattes et autres types de tissages…Il s’agit d’un secteur intimement lié au secteur de l’artisanat, de sa conception traditionnelle et de sa fabrication manuelle. La tapisserie foisonne  aussi dans toutes les régions du pays du Nord au Sud, que ce soit dans les villes ou  dans la campagne. En effet, chaque région se distingue par ses propres motifs de tapis, qui s’inspirent de ses particularités géographiques, culturelles et ethniques. Ils sont aussi conçus selon l’héritage patrimonial des habitants, et reflètent souvent une histoire, une légende ou encore une époque bien particulière.

 Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec l’artisane Ibtissem Zid, propriétaire du label «Berbère Carpet Store» spécialiste du tapis tunisien sous toutes ses formes.

Pour cette artisane et commerçante spécialiste du tissage, la création du tapis est avant tout un art et une culture, qui se transmettent d’une génération à une autre. Qu’ils soient des tapis noués ou tissés à poils ras, ils représentent tous le fruit d’une technique artisanale maitrisée exclusivement par des femmes artisanes, créatives, jouant sur les formes, couleurs, motifs et textures…

La propriétaire du « Berbère Carpet », nous a indiqué qu’il faut distinguer deux types de tapis tunisiens. « D’abord il y a les tapis à poils ras. Souvent, les clients font une confusion entre le « Mergoum » en laine, qui dispose d’une seule facette à motif, et le « Klim », qui est une sorte de tapis plus léger à double face, travaillé par une filature synthétique teintée par la peinture acrylique, d’où ses couleurs plus vives. Il existe aussi le « Klim Chwelak », un tapis recyclé à partir des déchets de tissus.  Quant aux tapis en laine ou à points noués, fabriqués spécialement à Kairouan, ils ont plus de valeur grâce à leur filature en laine de mouton, et se vendent avec des prix élevés qui dépendent notamment du nombre de nœuds avec lesquels ils ont été conçus ».

« Les tapis tunisiens sont tellement diversifiés, de par leurs aspects esthétiques. Le tapis berbère de Toujane (sud tunisien) par exemple, se distingue par ses couleurs éclatantes. Il y a aussi le « Bakhmoug », qui est une sorte de carpette  tissée et brodée pour la mariée en  rouge et pour la veuve en noir. Ce tapis reflète le statut de la femme dans la région. La « Mochteya », portée au Sahel sur la tête, et le tapis « Ketfeya » porté sur les épaules par la mariée dans la région…D’autre part, il y a le tapis du Kef est connu par une étoile qui le distingue…En effet, notre patrimoine en matière de tapisserie est bien plus riche que l’on croit », a conclu cette passionnée de la carpette.

En l’interrogeant sur les secrets qui se cachent derrière les motifs des tapis berbère, Ibtissem Zid nous a révélé que les carpettes ethniques particulièrement, sont composés de motifs et de symboles qui racontent des histoires et des récits de communautés ou d’artisanes, que seules un savant de ce langage pourra déchiffrer les codes.

« J’ai dû apprendre le langage berbère pour pouvoir appréhender ce langage artistique, qui est également universel. On peut trouver ces mêmes symboles imprégnés sur les tapis berbères Tunisiens, au Maroc, en Turquie ou encore en Amérique Latine. Il s’agit d’un langage universel qui n’est pas propre à la région du Maghreb », nous dévoile-t-elle.

La tapisserie traditionnelle, un secteur perpétué malgré les entraves

Malgré l’importante affluence des clients vers la tapisserie locale, ce secteur souffre encore de plusieurs anomalies qui l’empêchent d’évoluer, nous a précisé la propriétaire de la marque « Berbère Carpet ».

Le problème réside dans le manque de la matière première de fabrication, la filature. « La Tunisie ne dispose que de deux filateurs, qui font l’exploitation de la filature en laine de mouton, de haute qualité. Ces deux fournisseurs des artisanes qui travaillent les tapis en laine ou le Mergoum détiennent le monopole en la matière, et ne laissent pas le choix à ces femmes que de se déplacer de leurs régions à Ksibet El Mediouni (Sousse) ou encore à Kairouan, pour se procurer les files de qualité. Les autres artisanes n’ayant pas les moyens pour parcourir de telles de distances se contentent des files synthétiques qui leur rapportent peu, et qui limitent leurs créations et donc la commercialisation de leurs produits.

« Cette problématique figure parmi les obstacles qui entravent l’évolution du secteur, mettant ainsi plusieurs artisanes au chômage. En plus, ces fournisseurs qui détiennent le monopole, « au lieu de commercialiser la laine tunisienne et la vendre aux tapissiers locaux, ils préfèrent l’exporter en Inde et gagner des recettes en devise, au lieu de promouvoir les fabriquants tunisiens», déplore-t-elle.

« Heureusement que l’influence des feuilletons turcs, réputés pour leur décoration minutieuse reflétant leur culture, est l’une des raisons qui ont poussé notamment les jeunes, à repenser ce retour vers les tapis locaux. Il y existe d’ailleurs une très grande ressemblance entre le « Klim » turque et le « Klim » tunisien. S’y ajoute, cette volonté de suivre les tendances de décor contemporain, très répandues sur les sites internet et magazines de décoration, proposant un mélange de styles scandinaves, d’autres provenant des pays de l’Est qui donnent des intérieurs modernes, et très sollicités ces dernières années ».

Emna Bhira