Tunisie : « L’inflation est un véritable danger pour l’économie, la combattre est une priorité » (Mohamed Salah Souilem)

05-01-2023

La mission principale qui est confiée à la Banque Centrale de Tunisie (BCT) est avant tout de maintenir la stabilité des prix et combattre l’inflation. C’est dans cette logique que l’institution d’émission a décidé récemment d’augmenter une nouvelle fois le taux d’intérêt directeur.

Une troisième hausse consécutive depuis le début de l’année 2022 et qui a suscité un bon nombre de réactions dans le microcosme économique tunisien. Si beaucoup d’experts sont persuadés que cela aura un impact négatif sur la consommation et donc sur la croissance, le gouverneur de la Banque Centrale, Marouane Abbassi, persiste est signe dans sa volonté de freiner l’inflation galopante.

Afin de bien comprendre les causes et les conséquences d’une telle décision, Gnetnews s’est adressé à Mohamed Salah Souilem, ancien directeur général de la politique monétaire de la Banque centrale de Tunisie.

« La Banque Centrale joue pleinement son rôle! »

A l’instar de toutes les banques centrales du monde, la BCT contribue au maintien de la stabilité financière de manière à soutenir la réalisation des objectifs de la politique économique de l’Etat y compris dans les domaines du développement et de l’emploi pour une coordination optimale entre la politique monétaire et la politique économique de l’Etat.

D’après Mohamed Salah Souilem, aujourd’hui la Banque centrale de Tunisie joue pleinement son rôle en augmentant le taux d’intérêt directeur. Il explique dans ce sens que l’institution d’émission a UN objectif et UN instrument, à savoir, la stabilité des prix et le taux d’intérêt directeur. Pour éviter une dérive de l’inflation la BCT peut uniquement utiliser le levier du taux d’intérêt directeur. « Ce taux peut être orienté vers la hausse mais aussi vers la baisse, en  fonction de la situation économique, et de ses perspectives et visions. La BCT dispose d’outils d’analyses et de prévisions qui lui permettent d’anticiper ces pressions inflationnistes. Elle essaye ainsi de tuer dans l’œuf tout risque d’augmentation des prix afin de préserver le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises », souligne l’expert. 

Mohamed Salah Souilem/Ancien Directeur général de la politique monétaire à la BCT

Il ajoute à cet égard, que la meilleure contribution que peut apporter la politique monétaire de la banque centrale à une économie c’est la stabilité des prix. « Quand il y a stabilité des prix, il y a par conséquent une stabilité des taux d’intérêt et donc les différents agents économiques auront une meilleure visibilité pour faire des prévisions d’investissements, de consommation, établir des business plan et se projeter dans l’avenir avec plus ou moins de confiance », affirme l’expert.

Ainsi, en rehaussant le taux d’intérêt directeur la Banque centrale vise à aboutir à un niveau d’inflation acceptable qui va permettre à l’économie de réaliser une croissance saine. « On peut avoir une croissance élevée avec un taux d’inflation élevé…mais cela déstabilise l’économie en créant des pressions sur les taux de change, sur le niveau des avoirs, sur l’évolution des investissements, etc »… relève Souilem.

Combattre l’inflation est aujourd’hui une priorité

Pour autant, Mohamed Salah Souilem insiste sur le fait que la Banque Centrale ne peut pas tout faire. Il explique qu’il faut faire la différence entre le rôle de la BCT et celui du gouvernement. « A chacun ses responsabilités ! La politique économique, la croissance, l’emploi, l’équilibre budgétaire ou encore l’investissement sont des prérogatives qui incombent à l’Etat, et qui vont permettre de remettre le pays sur une trajectoire de croissance », précise l’expert.

« Toutes les Banques Centrales du monde s’accordent à dire que combattre l’inflation est aujourd’hui la priorité même si on peut s’attendre par la suite à une récession. L’inflation est un véritable danger pour l’économie. Je considère qu’elle constitue le plus grand danger après le terrorisme », poursuit-il.

La croissance est régie par trois moteurs, qui sont la consommation, l’investissement et les secteurs extérieurs, essentiellement les exportations. En Tunisie la consommation a été affectée négativement, qu’elle soit privée, à cause de l’inflation, ou publique du fait de la fragilité budgétaire de l’Etat. Ajouter à cela l’alourdissement du service de la dette, dont plus du tiers  du budget lui est consacré. « Que reste-t-il donc pour l’investissement de l’Etat qui est une locomotive pour les investissements privés ? », s’interroge l’expert.

A cet égard, l’ancien directeur général de la politique monétaire de la Banque Centrale de Tunisie indique que la décision de l’institution d’émission de rehausser le taux directeur donnera des signes forts aux agents économiques car, selon lui, elle montre que la BCT honorera ses engagements en déployant  tous les efforts pour contrer l’inflation et faire baisser le TID ».

Le taux d’intérêt directeur baissera de nouveau

Si de nombreux économistes se sont insurgés de cette troisième hausse du taux d’intérêt directeur en seulement un an, il faut rappeler que la Tunisie en est à sa douzième augmentation depuis 2011 et également que cinq baisses de ce taux ont été opérées par la Banque Centrale de Tunisie.

« Entre mars 2018 et février 2019, la BCT a augmenté le TID de 275 points de base, le portant de 5% à 7,75%, qui est un niveau proche du niveau actuel. Et comme au début de l’année 2021, le taux d’inflation était de l’ordre de 4,8%, la BCT a finalement décidé de faire baisser le TID à deux reprises de 150 points de base. Aujourd’hui, nous sommes certes à la troisième hausse depuis le début de l’année, avec une cumul de 175 points de base. Mais c’est un mal nécessaire car même si aujourd’hui les Tunisiens vont subir l’augmentation de leurs mensualités de crédits, ce ne sera que temporaire ».

L’expert affirme que la hausse des taux aura un impact momentané car, selon lui, une fois que les pressions inflationnistes seront moins fortes, la Banque Centrale n’hésitera pas à refaire baisser les taux.

« Je suis optimiste car notre inflation est en grande partie d’origine externe. C’est à dire qu’elle est importée et non d’origine monétaire ou due à la dépréciation du taux de change ou encore à la hausse des coûts (augmentation des salaires) ».

Autre signe qui montre que cette situation ne sera que temporaire, celle d’une baisse de l’inflation dans le monde. « Les prix du pétrole sont presque revenus au niveau de ceux pratiqués avant la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Nous observons aussi une baisse des prix du transport au niveau international… Aujourd’hui aux Etats-Unis l’inflation est à 7,1% après avoir dépassé les 10% il y a quelques mois », relève Souilem.

Si certains experts s’accordent à dire que la hausse du taux directeur affectera surtout les ménages les plus faibles, à revenus moyens ou les PME, l’expert rappelle, dans ce sens, qu’en parallèle de cette décision, la BCT a également revu à la hausse le taux de rémunération de l’épargne à 7%. « Cela va aider les ménages qui ont une petite épargne à préserver leur pouvoir d’achat et également à inciter à l’épargne. Même si l’impact sur l’épargne nationale est minime, il est préférable d’encourager l’épargne aux dépens de la consommation afin de contribuer au financement de l’investissement national qui est à un niveau très faible », conclut Mohamed Salah Souilem.

Wissal Ayadi