Tunisie : Entre élève et enseignant, le respect cède la place à des rapports tendus et des débordements à tout crin

01-11-2021

Les relations enseignants-élèves ont beaucoup évolué au fil du temps. Le respect qui caractérisait, auparavant, ces rapports cède la place à des relations tendues, marquées par le manque de respect, méfiance, voire la haine. Des affaires éclatent souvent sur des enseignants qui sont agressés par leurs élèves, ou à l’inverse, des enseignants qui agressent leurs élèves verbalement ou physiquement.

Ce phénomène est désormais très courant notamment dans les écoles publiques. Comment rendre aux établissements scolaires, la place qui leur revient ? Comment prévenir et lutter contre ces phénomènes ? Qu’est-ce qui fait que les rapports en milieu scolaire se dégradent aussi gravement ? Quel rôle pour les parents ?

Une crise des valeurs  

Afin de répondre à ces questions, nous avons fait appel à des enseignants, qui nous ont raconté leurs expériences. Pour Aida Mehrez, enseignante au lycée Menzeh 6 à Tunis, le phénomène de la violence a gagné du terrain durant ces dernières années. Selon elle, cela est dû essentiellement au laxisme des parents quant à l’éducation de leurs enfants. Auparavant, nos parents peu instruits, estimaient que l’enseignement est un métier noble, sacré, et le professeur, la personne à qui on doit considération, respect et obéissance.

 « De nos jours, les enseignants trouvent du mal à imposer la discipline. La moindre remarque par le professeur peut être mal prise par les élèves et leurs parents. Plusieurs répondent aux appels à l’ordre par des réactions irrespectueuses. Agressivité, hostilité, colère et turbulence en classe, et en contrepartie il n’y a aucune sanction pour y remédier au lycée », nous a confié l’enseignante.

En cas d’une convocation des parents pour signaler de tels débordements et comportements inappropriés, ils se déresponsabilisent, sous prétexte qu’ils n’ont pas assez de temps pour éduquer leurs enfants, ou encore qu’ils ont le droit de se défendre, face à un manque de respect à leur égard. Ils confondent autorité, discipline avec injustice et méchanceté. « D’ailleurs, j’ai eu droit à toute sorte de dénigrement par des parents, qui refusent d’éduquer leurs enfants, et qui trouvent normal de ne pas trouver le temps de les contrôler et suivre leurs études. », révèle-t-elle.

« Une parente m’a dit un jour qu’elle n’a pas le temps de s’occuper de son fils à cause de son emploi chargé, et m’a demandé de contacter sa grand-mère, ou encore la garderie. Un autre couple, à qui j’ai signalé que leur fils empestait l’alcool en classe, m’ont assuré qu’ils ne trouvent aucun mal que ce dernier boive un verre avec eux au déjeuner. Une autre maman, m’a aussi reproché le fait que j’ai confisqué le jeu de sa fille, avec lequel elle jouait en classe »…Ce n’est qu’un échantillon des réponses que je reçois, déplore-t-elle.

Le système éducatif tunisien est défaillant à ce niveau, souligne-t-elle. « La mission de l’enseignant se limite désormais à transmettre les connaissances suivant le programme du ministère de l’éducation. Son rôle éducatif lui a été retiré par cette nouvelle mentalité qui encourage la permissivité et l’impunité. Une réforme à long terme est à mettre en place à cet effet, afin d’éviter la détérioration définitive des valeurs au sein de l’école. Son objectif serait de revaloriser le rôle civique de l’enseignant, qui se bureaucratise de plus en plus… ».

Un autre enseignant à la retraite, Said F. a confirmé aussi que les rapports enseignant/ élève ne sont plus les mêmes de nos jours. Cela est dû, selon lui, à un mal être social généralisé. Crise de valeurs,  absence de repères et d’autorité, mauvaise appréhension des libertés et des droits, les inégalités sociales qui se creusent…

 « Toutes les parties sociales doivent assumer leur rôle dans cette dégradation de la place de l’enseignant et de l’école en général. Commençant par les parents qui souffrent d’une pression quotidienne des aléas de la vie, dont le comportement se répercute sur la psychologie de l’enfant. En plus de l’environnement violent des jeunes, dans la rue, et au domicile, il y a l’augmentation du taux de chômage, l’ouverture sur d’autres métiers à travers les réseaux sociaux et d’autres moyens de réussite et de gagne-pain qui ne nécessitent pas tant d’effort intellectuel… Conséquences, les jeunes ont perdu confiance en l’école en tant qu’unique moyen de se faire une place dans la société et de garantir un avenir professionnel. Ils dénigrent désormais, le rôle de l’éducation, du savoir et de l’apprentissage académique… ».

L’importance d’un environnement familial sain 

A cet effet, Dr. Anas Laouini, psychothérapeute a souligné que le phénomène de la violence est lié à l’évolution culturelle de la société. Il y a une fausse appréhension de la liberté et des droits. Les agressions sont désormais banalisées dans les médias, par l’entourage et dans la rue.

 Aussi, les inégalités sociales favorisent la violence. Plusieurs enfants sont mis à l’écart car ils n’ont pas les mêmes moyens que leurs camarades, pour bénéficier des cours particuliers, ou encore pour se permettre une fourniture scolaire adéquate, et une tenue similaire…Ils sont harcelés, moqués, dénigrés et attaqués que ce soit par l’enseignant ou par les enfants…Tout cela ne pourra avoir que des effets négatifs, comme l’abandon scolaire, l’agressivité, le sentiment de haine et de vengeance.

Dr. Anas Laouini a évoqué aussi un respect mutuel dans les deux sens. L’enseignant doit respecter l’élève aussi, et le traiter convenablement sans abus de pouvoir.

« Les cas de violence sexuelle sont de plus en plus signalés par les jeunes patientes. Cela est dû à l’incapacité de l’élève de dénoncer son professeur de peur de le discréditer notamment si ce dernier est protégé par les syndicats. L’élève a aussi peur pour ses résultats, sa réputation et craint le scandale,  plusieurs affaires sont, de ce fait, étouffées ».

En parlant des profils des enfants qui ont tendance à perpétrer de la violence sur autrui, le psychothérapeute a évoqué en particulier, les personnes ayant reçu une éducation marquée par l’agressivité, la rigidité et l’intolérance.

« Ces agresseurs sont aussi victimes de déstabilisation psychologique chez eux. Le haussement du ton à tort, les enfants battus ou encore les parents colériques qui infligent de lourdes punitions à leurs mômes, l’atmosphère malsaine à domicile…Ces enfants, en particulier, peuvent retourner cette violence reçue de leurs parents contre leurs camarades ou enseignants. Dans le cas contraire, ils peuvent devenir victimes de harcèlement, d’exclusion, vu qu’ils seront craintifs, dépressifs, et incapables de se défendre. Les enfants souffrant d’handicap, de trouble du comportement, ou ayant des traits de caractère ou physique particuliers, sont aussi concernés par les agressions ».

Nous avons aussi contacté des élèves ayant été victimes de ces incidents à l’école. Comme Adam, 13 ans, un élève au collège de Menzeh 6, qui souffre d’un trouble de la parole, et de trouble obsessionnel compulsif (TOC).

En nous racontant sa souffrance à l’école, il nous a confié qu’il était souvent mis à l’écart par ses professeurs, qui ne l’interrogeait plus à l’oral, et qui évitent de lui expliquer la leçon en cas d’incompréhension, car ça prenait beaucoup de temps… ».

D’après Kaouther, la maman d’Adam, cette discrimination envers son fils, a encouragé ses amis à se moquer de lui. « A part le bégaiement qui lui posait un blocage pour se socialiser, les enseignants au lieu de le valoriser pour renforcer sa confiance en lui, ils ne faisaient pas attention à ses besoins particuliers. Au contraire, ils l’ont mis à l’écart. A cause d’eux, mon enfant est devenu frustré, et commençait à détester l’école. Cette exclusion est aussi une forme d’agressivité passive, qui doit être évoquée ! », a déploré la maman.

Nous avons aussi pris contact aussi avec Samia, mère de Hédi, 6 ans.

« Un jour j’ai été appelée par son école, car il a insulté sa maitresse et a donné des coups à ses camarades », nous a raconté la maman, soulignant qu’il a appris ça de son père.

« A la maison, j’étais victime de violence verbale de la part de mon mari. Mon fils était témoin de nos disputes, et encaissait les gros mots et tous les gestes de mon conjoint.  Dernièrement a été suspendu de l’école, en étant en première année primaire…Je n’ai jamais cru que de telles conditions à la maison l’influenceront. Le milieu familial est très important pour réussir l’éducation de ses enfants, c’est ce que nous avons constaté moi et son père, après cet avertissement venant de l’école. ».

Emna Bhira