La Tunisie dans l’urgence, sous peine de l’obsolescence de l’accord technique avec le FMI (Expert)

25-04-2023

A l’issue des rencontres du printemps du Fonds monétaire international (FMI) qui se sont déroulées du 10 au 16 avril dernier  à Washington, il est temps de faire un bilan sur l’avancée du dossier de la Tunisie, rappelons-le, toujours en suspens auprès de l’institution financière.

L’accord définitif pour un programme de financement de 1,9 milliard de dollars semble encore flou et fait l’objet de nombreuses tergiversations. Le manque d’homogénéité  du discours de la partie tunisienne en serait la cause. D’un côté, le président de la république, Kaïs Saïed, a rejeté à plusieurs reprises, ce qu’il considère comme des diktats imposés par les institutions financières internationales, et de l’autre le gouvernement et la Banque centrale de Tunisie, qui essaient tant bien que mal d’aboutir à un accord, afin de sortir la Tunisie du risque de faillite.

Hamza Meddeb, chercheur, spécialiste en économie politique et présent lors des rencontres du printemps du Fonds en tant que membre du Forum de la société civile, a bien voulu analyser pour GnetNews l’avancement du dossier tunisien.

L’accord technique a été sauvé, reste « à franchir le dernier pas »

Les rencontres du printemps ont été un moment important pour le Tunisie. Il s’agissait essentiellement de maintenir en vie l’accord technique entériné le 15 octobre 2022 entre les équipes techniques du FMI et la Tunisie. C’était là tout l’enjeu du déplacement du ministre de l’économie, Samir Saïed et du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, Marouane Abbasi, à Washington, la toute dernière période. Petite délégation, certes, mais qui a permis de laisser la porte ouverte aux négociations.

Des négociations qui sont intervenues à l’issue des récentes déclarations du président Kaïs Saïed, largement reprises par les médias internationaux. Pour rappel le chef de l’Etat avait rejeté les « diktats » du FMI en vue d’un accord définitif et le sauvetage économique et financier de la Tunisie.

« La mission principale de la délégation tunisienne était véritablement de convaincre le FMI que la Tunisie tenait toujours à cet accord et de dissiper le doute sur l’engagement de la Tunisie à conclure cet accord, suite à ces  déclarations», nous dit Hamza Meddeb.

« Cette tâche n’a pas été facile car du côté du FMI il y a beaucoup du scepticisme, d’abord la capacité du pays à mettre en place les réformes, mais surtout sur la volonté des autorités tunisiennes, et notamment de la présidence quand à la conclusion effective de cet accord », poursuit-il.

Pourtant, il ne reste pas grand chose à la Tunisie afin de mettre fin à ces éternels atermoiements sur cet accord. En effet, Kristalina Georgieva, la Directrice générale du FMI a affirmé, le 15 avril dernier, à l’issue des rencontres du printemps du Fonds, que la Tunisie devait « franchir le dernier pas », afin de finaliser cet accord. Un discours également tenu par Jihed Azour, Directeur du département Moyen-Orient, Asie Centrale du FMI, qui a indiqué que le programme de réforme était avant tout tunisien, rejetant l’idée de diktats qui seraient imposés par l’institution de Bretton Woods.

« Cela montre que du côté du FMI on ne ferme pas la porte et que le blocage vient essentiellement de la Tunisie. Le Fonds ne peut pas s’engager avec un pays ou une direction politique qui ne veut pas elle-même s’engager. Pour le moment on sent qu’il y a un problème dans le portage politique des réformes, qui semblent difficiles à assumer par les autorités tunisiennes Â», nous dit Hamza Meddeb.

Un double-discours qui fragilise la crédibilité de la Tunisie

Le réalisme du gouvernement qui se heurte « au populisme souverainiste » du chef de l’Etat, mène aujourd’hui cet accord dans l’impasse.

D’un  côté, le gouvernement se dit toujours engagé dans la volonté d’un accord et de l’autre le président de la république, qui affirme que « les êtres humains ne sont pas des unités arithmétiques », insistant sur l’importance de la préservation de la paix sociale et se désolidarisant de son gouvernement.

« Malgré un exécutif à une seule tête, garantie par la Constitution, le FMI voit, lui, deux discours fragilisant davantage la crédibilité de la Tunisie », souligne Hamza Meddeb.

Le discours souverainiste interne à la Tunisie mené par Kaïs Saïed, et le contre-discours à l’international défendu par le gouvernement pour assurer un accord avec le FMI, peut-il être en réalité une stratégie de partage des rôles? « Si c’est le cas il s’agit d’une position dangereuse et qui est en train de donner l’effet inverse. Je pense plutôt que la position de Kaïs Saïed reflète véritablement l’idéologie et le dogme qui l’animent, selon lesquels il est contre les instituions financières internationales. Il a, à de nombreuses reprises, rappelé que ces dernières n’avaient pas à dire à la Tunisie ce qu’il faut faire. Alors que du coté du gouvernement on agi de façon pragmatique pour sécuriser la solvabilité du pays », nous dit le politologue.

Le FMI attend des signaux

Parmi les réformes présentées par la partie tunisienne et qui ont permis l’accord technique du 15 octobre 2022, il y en a essentiellement deux qui posent problème aujourd’hui. Celle sur la réforme des compensations et celle concernant les entreprises publiques.

Certains experts tunisiens ont évoqué la possibilité que le FMI accepte d’étaler l’ajustement des prix du carburant et des matières premières sur une période qui peut dépasser les 4 ans, et donc au delà du programme. Or, pour Hamza Meddeb cela est impossible.

« Un programme avec le FMI est réalisé sur une période de 4 ans. Au bout de ces 48 mois, il faut que la Tunisie réussisse à avoir un excédent primaire afin de pouvoir rembourser sa dette. Ce qui peut être éventuellement négocié c’est un ajustement léger sur les produits alimentaires la première année et que les plus gros efforts se fassent plus tard, sur la deuxième moitié du programme. Ainsi, on peut négocier la séquentialisation du programme ou encore l’échéancier, mais pas plus », relève-t-il.

Sur la question de la réforme sur les entreprises publiques, Meddeb rappelle que la loi a été adoptée, mais qu’elle n’a toujours pas été promulguée. Et sur celle de l’énergie, l’expert souligne qu’il n’y a pas eu d’augmentation depuis 6 mois alors que la Tunisie s’était engagée à faire des augmentations mensuelles.

« Des programmes de financement sans conditionnalités n’existent pas et il n’y a pas d’argent facile, surtout dans le contexte actuel et après les deux échecs des précédents programmes », ajoute le chercheur.

Une prudence d’autant plus justifiée quand on sait que la Tunisie fait partie des pays, qui reviennent taper à la porte de l’institution financière tous les 4 ans. Or, pour rappel, le but du FMI est d’aider les pays à ne plus avoir besoin du FMI. C’est un prêteur de dernier recours. Il faut donc que les financements soient utilisés de manière efficace pour sortir le pays de ses difficultés et faire en sorte qu’il n’ait plus besoin du FMI et qu’il puisse accéder normalement au marché financier international.

Aujourd’hui, la Tunisie est dans une véritable urgence si elle veut vraiment obtenir le programme de financement de 1,9 milliards de dollars avec le Fonds monétaire international, car l’accord technique, qui date déjà de 6 mois, risque de devenir obsolète.

D’abord le taux de croissance de la Tunisie a été déjà été revu à la baisse par le FMI justement. On parle d’une croissance de 1,3%, contre les 2,7% estimés par le gouvernement dans la loi de finances 2023.

Par ailleurs, les prévisions de récoltes en céréales seront également en baisse ce qui veut dire que  les besoins de réserves en devises seront encore plus important pour pallier à ce manque à travers l’importation.

Les prochaines réunions du Conseil d’administration du FMI auront lieu au mois de mai et la question est de savoir si la Tunisie sera sur l’agenda de ces réunions. D’après Hamza Meddeb, pour que cela soit le cas, le Fonds attend une annonce politique. Ainsi, la promulgation au JORT de la loi sur les entreprises publiques et la hausse des prix de l’essence pourraient constituer deux signaux positifs quant à la volonté de la Tunisie d’entrer en programme avec le FMI.

Wissal Ayadi