Tunisie : Freiné par la crise, le tourisme d’affaire remonte la pente grâce aux nouvelles technologies (Enquête)

27-01-2021

Si la Tunisie est connue et reconnue pour le tourisme balnéaire, elle l’est moins pour le tourisme dit de congrès ou d’affaires.

Pourtant ce segment constitue une part importante du secteur touristique tunisien. Les principaux clients sont les ONG et les laboratoires pharmaceutiques qui ne lésinent pas sur les moyens afin d’organiser des séminaires et des congrès.

Le tourisme de congrès constitue un levier de recettes important pour le secteur dans son ensemble. En effet, un touriste d’affaire dépense cinq fois plus d’argent qu’un touriste classique, puisqu’il ne réside que dans des hôtels de luxe, ne mange que dans des restaurants haut de gamme et participe à des dîners galas.

Mais la crise du COVID-19 a marqué un point d’arrêt à ces événements, mettant en péril les hôteliers, les agences de voyage et les agences spécialisées dans l’organisation des congrès.

Comment vivent-ils cette situation ? Comment comptent-ils s’y adapter ? Pour répondre à nos questions, nous nous sommes adressés à deux professionnels du secteur.

Le Tunisia Convention Bureau : une tentative avortée

Les majorité des grandes villes du monde disposent de ce que l’on appelle un Convention Bureau. Il s’agit d’un bureau qui permet la promotion de ces villes pour l’organisation de congrès internationaux. Appelé MICE (Meetings, Incentives, Conventions and Events), cet acronyme anglais désigne l’ensemble des activités hôtelières et touristiques liées aux événements d’entreprise : séminaire, meeting, convention, conférence, ou encore team building.

C’est au début des années 2000 que le Tunis Convention Bureau a ouvert. Si dans d’autres pays, il est financé au niveau des municipalités, en Tunisie plusieurs organismes ont participé à sa création : l’ONTT, la ville de Tunis, Tunisair, la foire des congrès du Kram ainsi que les hôtels Sheraton et Mouradi. Cette structure a permis à la Tunisie d’être présente dans les salons spécialisés afin d’attirer des marchés. Mais après plusieurs années, elle a finalement fermé ses portes faute d’engagement de la part des parties publiques.

Près de 95% de manque à gagner 

A quelques pas du Parc du Belvédère en plein centre-ville de Tunis, avec 10 salles réservées aux séminaires et congrès ainsi qu’une capacité de 500 couverts pour la partie restauration, l’Hotel Golden Tulip Mechtel a pour principale activité le tourisme de congrès.

En effet, chaque année des milliers d’hommes d’affaires y résident le temps d’un voyage mais également des centaines de séminaires y sont organisés. Ainsi, cet établissement est devenu au fil des années une référence pour le tourisme d’affaire.

Mais la pandémie de coronavirus a mis en péril une des principales recette de l’hôtel. Adel Gam est le Directeur du Golden Tulip. Nous le rencontrons dans son établissement. Il a du mettre au chômage technique une grande partie de ses salariés afin de leur assurer un revenu minimum.

L’arrêt des séminaires et des congrès constitue près de 95% de manque à gagner » nous dit-il. C’est dire si cette activité est plus qu’importante pour ce genre d’hôtel dit de ville car situé dans le centre de la capitale. L’hôtelier nous explique que le protocole sanitaire oblige un taux d’occupation des salle de 30% au maximum. Ainsi, sa plus grade salle qui peut contenir 450 personnes, ne peut accueillir que 100 personnes au maximum ; ce n’est donc pas rentable.

Il déplore, par ailleurs, le manque de vision stratégique de la part des pouvoirs publics. « Le tourisme est une des principale source de revenus du pays et pourtant j’ai l’impression que l’Etat l’a délaissé complètement », souligne Mr Gam.

Nous avons tenté d’avoir l’avis du ministère du Tourisme sur la question. Malheureusement, nous n’avons pu obtenir aucune information et aucun chiffre n’a pu nous être communiqué. Dans une déclaration récente , au journal électronique l’Economiste Maghrébin, le ministre du Tourisme, Habib Ammar indique que « le tourisme de congrès constitue une alternative au tourisme classique », ce qui est paradoxal avec les chiffres de nombreux hôtels, dont El-Mechtel ; ce segment constitue une composante essentielle de leurs activités. D’où la question de savoir, si le manque de stratégie des pouvoirs publics, n’a pas contribué à aggraver la crise du secteur, qui n’a fait qu’exacerber avec la pandémie.

Les professionnels, eux, ne restent pas les bras croisés et essaient de s’adapter à la situation, en misant sur les nouvelles technologies pour l’organisation de congrès. Adel Gam a, ainsi, décidé d’équiper ses salles de systèmes de vidéo-conférence.

Développement des congrès virtuels

Tout le monde le sait…la crise du coronavirus aura bouleversé tous les secteurs. Le mot d’ordre sera désormais l’adaptation.

S’adapter, c’est ce qu’a décidé de faire Bahri Touil. Il est le Directeur Général de la société MICE TRAVEL qui depuis 15 ans est un des leaders dans l’organisation de congrès et séminaires en Tunisie avec près de 200 événements par an. Sa société travaille essentiellement avec le secteur de la santé et notamment les laboratoires pharmaceutiques qui sont ses principaux clients (85%). Pour lui la crise du Covid-19 a permis le développement des congrès virtuels. « Nous avons pu sortir de la crise grâce aux nouvelles technologies », nous dit-il.

Avec le développement du télétravail, des webinaires (séminaires en ligne) et des réunions via des plateformes en ligne, les nouvelles technologies n’ont jamais autant été sollicitées. Une brèche que Bahri Touil n’a pas hésité une seconde à exploiter.

En septembre 2020, il a effectué un investissement lourd dans la création d’un studio d’enregistrement de séminaires dans les locaux de sa propre salle de congrès située au Lac. « Nous proposons des séminaires virtuels clés en main pour nos clients. Il s’agit, en réalité, d’événements hybrides puisqu’ils réunissent le présentiel et le virtuel ». En effet, les interventions des speakers présents en Tunisie sont enregistrées directement en studio et pour les personnes qui sont à l’étranger, elles sont enregistrées et envoyées à distance et seront intégrées au congrès en ligne.

Des congrès peuvent également être organisés dans des hôtels avec une présence restreinte et une interactivité à distance grâce aux nouvelles technologies.

« C’est un gain d’argent  et de temps considérable puisqu’il n’y a plus à gérer les billets d’avion , les transferts, les nuits d’hôtels, etc », affirme Mr Touil.

Pour l’instant, le chef d’entreprise ne gagne pas d’argent, mais il n’en perd pas non plus.  Pour lui, il s’agit, là de l’avenir du tourisme d’affaire.

Wissal Ayadi