Tunisie : La mini-constitution de Kaïs Saïed, un tournant dont l’issue reste incertaine !

23-09-2021

Les mesures exceptionnelles annoncées hier par le président de la République, et qu’il a détaillées dans un décret présidentiel désormais paru au Journal officiel, alimente depuis mercredi soir le débat public, et suscitent une salve de réactions.

Comme il l’a annoncé dans son discours de Sidi Bouzid, le lundi 20 septembre, Saïed a mis fin hier au suspens et a dévoilé les dispositions transitoires appelées à régir le tournant  politique, amorcé le 25 juillet dernier.

Le décret présidentiel n’o 117 fait figure d’une loi régissant l’organisation provisoire des pouvoirs, comme l’attestent, dans une quasi-unanimité, les constitutionnalistes.

Ces dispositions sont interprétées par plusieurs juristes comme une suspension de la constitution du 27 janvier 2014, même si le décret présidentiel en évoque le maintien du préambule, ainsi que des chapitres 1 et 2 et de toutes les dispositions constitutionnelles qui ne sont pas contraires à ces mesures exceptionnelles.

La mini-constitution décidée par le chef de l’Etat décrète de nouvelles dispositions liées à l’exercice du pouvoir exécutif, et du pouvoir législatif.

Plutôt un Premier ministre qu’un chef du gouvernement

Au chapitre du pouvoir exécutif, la principale nouveauté est liée au gouvernement attendu, qui est désormais composé d’un chef du gouvernement dont le statut serait beaucoup plus proche d’un Premier ministre, a fortiori si l’on se tient à l’appellation en arabe (رئيـس وزراء وليس برئيس حكومة), et de secrétaires d’Etat et non de ministres, un cabinet qui sera responsable devant le chef de l’Etat.

Une dissolution de facto

Au volet du pouvoir législatif, le chef de l’Etat va légiférer par décrets-lois, dans tous les domaines notamment l’organisation des partis politiques, la loi électorale, le pouvoir local, la loi budgétaire (budget de l’Etat et loi des finances), etc.

Les textes présidentiels ne peuvent faire  l’objet de recours en annulation, comme c’est bien précisé dans ledit décret.

Le chef de l’Etat prend ainsi les commandes du pouvoir législatif, tandis que la suspension de l’Assemblée prend l’air d’une dissolution, (de facto et non encore de juré) notamment avec l’arrêt des salaires et autres privilèges accordés au président du parlement et ses membres.

Amendements constitutionnels

Reste que le point cardinal de ces nouvelles dispositions réside dans la réforme constitutionnelle que compte mener Kaïs Saïed. Le président de la république qui se fera assister par une commission de juristes, opérera des amendements constitutionnels pour changer le régime politique, le faisant passer de l’actuel régime mixte (mi-parlementaire, mi-présidentiel), à un régime présidentiel. Saïed semble vouloir instaurer un régime politique « démocratique », où le président de la république sera élu au suffrage universel direct et sera investi des pleins pouvoirs. Une refonte constitutionnelle qu’il fera valider par référendum, ce sera aussi l’occasion de jauger sa popularité…

Ces changements politiques radicaux signent la rupture avec le processus de transition démocratique amorcé par la Tunisie au lendemain du 14 Janvier, un dispositif que Kaïs Saïed ne reconnait pas. Le chef de l’Etat opte pour le 17 décembre, date de l’éclatement de la première étincelle de la révolution tunisienne, comme soubassement à ses réformes politiques et constitutionnelles en vue. Sa démarche est largement décriée par les milieux politiques et juridiques, qui crient à la « transgression de la constitution », à « la monopolisation des pouvoirs », et à « la volonté d’instaurer un pouvoir personnel et de retourner au despotisme… »

Des critiques balayées d’un revers de main par les soutiens de Kaïs Saïed parmi les hommes de loi et les acteurs politiques. Ces derniers donnent raison au locataire de Carthage qui entame « des réformes politiques réclamées par la classe politique », à même de préserver l’Etat et de mettre un terme à une décennie d’abus de toutes sortes, de blocage, et d’instabilité politique. Son cheminement est d’autant plus fondé qu’il s’appuie, à leurs yeux,  sur une large volonté populaire, une majeure partie du peuple voue désormais une répulsion envers la classe politique de l’après révolution, la tenant pour responsable de la déliquescence généralisée du pays.

Entre les uns et les autres, d’aucuns restent prudents, tiraillés qu’ils sont entre espoirs et craintes, face à un chambardement politique à l’issue incertaine, dans un contexte plein de défis.

La Rédaction