Tunisie : La violence gagne la société, les moyens de transport en paient la rançon

09-11-2021

A l’heure où l’opinion publique est plongée dans un profond  émoi, suite à cette agression barbare, sans précédent, ayant visé un enseignant du lycée Ezzahra, les Tunisiens sont de plus en plus inquiets face au fléau de la violence qui gagne du terrain, dans une société en mal de repères. La brutalité à la tunisienne est une chaine aux tristes maillons ; en milieu familial, scolaire, ou encore dans la société, nos jeunes qui se sentent déboussolés et marginalisés, semblent ériger la violence, en leur moyen d’expression de prédilection.

Dans le Grand Tunis, cette dernière période a été marquée par plusieurs actes de violence et de vandalisme visant notamment les moyens de transports de la TRANSTU. Les auteurs de ces faits sont dans la plupart des cas des enfants et adolescents mineurs.

Un phénomène inquiétant qui ne cesse de prendre de l’ampleur dans le pays, incitant à essayer de comprendre les origines d’une telle violence. Qui sont ces fauteurs de troubles ? Pourquoi s’en prennent-ils aux bien publics ? Mal-être ? Défiance ? Une série de questions auxquelles nous avons tenté de répondre avec l’aide Tarek Balhaj, sociologue. Enquête.

Cinq incidents en un mois dans les transports

Au cours du mois d’octobre, pas moins de 5 actes de vandalisme ont été enregistrés contre des lignes de métro et de bus. Trains et autocars ont été visés par des jets de pierre qui ont brisé les vitres occasionnant plusieurs blessés dans les rangs sécuritaires et également chez quelques voyageurs et ce malgré le renforcement du dispositif de sécurité.

Dans une déclaration à la presse, le 4 octobre dernier, le directeur de la communication au sein de la Transtu, Mohamed Chamli a affirmé que la dégradation des rames de métro, durant le premier semestre 2021, ont coûté 500.000 dinars à la société, la poussant à porter plainte contre les commanditaires.

L’article 93 bis du code pénal tunisien prévoit, à cet effet, que lorsque les auteurs des faits sont mineurs, la responsabilité en termes de dédommagement matériel revient aux parents.

Normalisation des phénomènes pathologiques

Pour le sociologue Tarek Belhaj, cette situation n’est pas étonnante. Il explique à cet égard que depuis 10 ans, la violence dans l’espace public est devenue presque normale. « C’est ce qu’on appelle, la normalisation des phénomènes pathologiques. Ce qui n’est pas normal à la base, l’est devenu aujourd’hui. Le peuple tunisien est devenu hystérique depuis la révolution. », nous dit il.

Dorénavant, le modèle de réussite a changé. Si auparavant, il se caractérisait par la réussite à l’école, aujourd’hui, cette dernière n’est plus un repère. « Maintenant c’est le banditisme qui est devenu un symbole d’héroïsme et de réussite », souligne-t-il.

Ainsi ces actes de vandalisme ne sont pas anodins. Ils traduisent un malaise socio-économique grandissant chez les jeunes adolescents. Plusieurs facteurs viennent amplifier ce malaise. D’abord le lieu d’habitat. Les commanditaires de ces faits viennent souvent de cités défavorisées de la capitale, qui du fait de leur marginalisation sont devenues peu à peu des foyers de criminalité, voire de terrorisme.

Il y a aussi les conditions sociales dans lesquelles les fauteurs de troubles vivent. L’idée, selon laquelle, la misère et les difficultés économiques prédisposeraient à des comportements violents. 

Et enfin vient le facteur de l’âge. En effet, l’immaturité et la recherche de sensations fortes peuvent provoquer des comportements déviants menant à la violence.

Pour Tarek Belhaj, le fait de s’en prendre à des biens publics n’est pas sans raison. Le sociologue rattache ce phénomène au manque d’appartenance de ces jeunes à la patrie et à la défiance vis à vis des institutions de l’Etat dans lesquelles ils n’ont pas trouvé de réponse à leurs problèmes. « Les jeunes ne rêvent plus. Ce manque de visibilité sur leur avenir les pousse au dégoût. En s’en prenant aux biens de l’Etat, c’est une sorte de vengeance contre la société et le système », nous dit-il. En somme, il s’agit d’un règlement de comptes contre des institutions qui ne sont pas à l’écoute des préoccupations des jeunes.

De plus en plus de mineurs sont impliqués dans ces actes de violence. La question qu’on peut se poser naturellement est où sont les parents ? Ici, Tarek Balhaj affirme que leurs parents sont démissionnaires, laissant l’éducation vis à vis du respect et des valeurs à d’autres institutions comme l’école. « Avant le professeur avait un rôle social dans l’éducation des enfants. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le manque d’investissement dans le domaine de l’éducation a effacé ce rôle et les professeurs ne servent plus aujourd’hui qu’à enseigner des matières ».

Enfin, le sociologue déplore le manque d’activités sportives et culturelles accessibles à ces jeunes en difficulté. « Ce contexte toxique donne lieu à un cocktail Molotov qui peut imploser à tout moment », s’insurge-t-il.

Tarek Belhaj rappelle l’importance de remettre sur pieds les institutions consacrées aux jeunes et l’urgence pour la Tunisie de mettre en place un projet sociétal pour cette génération perdue. « Beaucoup de maisons de jeunes sont soit fermées, soit désuètes. Elles ne proposent pas d’activités qui sont en accord avec les jeunes d’aujourd’hui. On y fait et refait les mêmes activités depuis leur création », conclut-il.

Ces phénomènes de violence de la part de ces jeunes en échec social doivent faire réfléchir nos dirigeants. Si une politique les visant n’est pas prévue, la situation risque d’empirer sacrifiant une génération toute entière. Ces jeunes adolescents se tourneront alors vers la solution ultime…celle de l’immigration clandestine, un fléau qui ronge déjà la société tunisienne.

Wissal Ayadi