Tunisie : Le marché aux poissons de Bizerte à Hammamet : Les raisons d’une flambée !
Le poisson serait-il en passe de devenir un produit de luxe ? Oui, à en croire la flambée des prix de ces dernières années sur les produits halieutiques.
Avec un pouvoir d’achat sensiblement en baisse, les Tunisiens sont de moins en moins consommateurs de poissons.
Plusieurs raisons sont imputées à cette hausse : diminution des espèces en mer, pollution, changements climatiques, pêche intensive et augmentation des prix du carburant.
Prix à Bizerte et Hammamet
Des étals presque vides et des clients peu nombreux, ce vendredi matin le marché aux poissons de Bizerte est morose. Pourtant, cette ville du nord de la Tunisie est réputée pour la qualité de son poisson.
Sur les étiquettes, les prix flambent. Il faudra compter 56 dinars pour le kilo de daurade sauvage (15DT pour la daurade d’élevage), 48DT pour le rouget, 36DT pour le loup sauvage (karouss) et 36DT pour le kilo de calamars. Si vous avez de la chance, au vu du peu de quantité présente sur la marché, vous pourrez acheter des crevettes de qualité moyenne à 45DT le kilo. La seiche et le poulpe sont quant à eux inexistants.
Les commerçants se plaignent du manque de poissons en mer. « Quand il fait chaud généralement, la quantité de poisson diminue. De plus, il ne faut pas oublier que nous venons de passer par la période de l’Aïd El Idha qui fait diminuer de manière drastique les clients ». Mais pour eux, les prix ne sont pas si cher que cela.
Nous interrogeons un client matinal venu se fournir en poisson. « Je ne sais même pas quoi acheter tellement les prix sont élevés. Je voulais prendre de la daurade pour faire une grillade mais à plus de 50DT le kilo c’est juste impossible. Je crois que je vais me contenter du merlan », soupire-t-il.
En effet, certains étals proposent des espèces bons marché, accessibles aux petites bourses. « Le kilo de merlan petit calibre est à 6DT, le grand calibre à 10,8DT, le chinchard à 6,8DT/kg. Nous proposons un mélange de petits poissons à 7,8DT », nous dit Hedi, le vendeur.
L’arrivée massive des Tunisiens résidant à l’étranger disposant d’un pouvoir d’achat plus important n’a visiblement rien changé à la donne. « Nous travaillons plus avec les habitants locaux qu’avec les TRE. Ils viennent mais n’achètent les poissons que par deux ou trois…rarement au kilo », précise-t-il.
Sami Laouini possède une poissonnerie à Hammamet. Il est réputé pour avoir le meilleur poisson de la ville.
Il explique qu’il y a un manque important au niveau des fruits de mer. « Une grande partie est destinée à l’exportation, notamment vers le Qatar en raison de l’organisation prochaine de la Coupe du Monde de football », nous a-t-il indiqué.
Par ailleurs, Hammamet constitue une des plus grandes stations balnéaires du pays abritant de nombreux hôtels et restaurants qui viennent se fournir chez Sami Laouini. « Le fait que les hôtels achètent en plus grande quantité pendant l’été et font augmenter les prix est un mythe. En effet, les hôteliers n’achètent le poisson que si les prix sont bas. Ils prennent de l’espadon, du thon, des crevettes, du mérou, du rouget, de la seiche. Il en est de même pour les restaurants ».
Voici quelques produits qu’il propose dans sa boutique:
Les raisons de la flambée des prix
Les quelques pêcheurs que nous avons croisés au port de pêche de Bizerte imputent la hausse des prix du poisson à deux raisons principales : la baisse de la quantité de poissons en mer et la hausse du prix du carburant.
« Il y a un manque de production important », selon Mohamed Mhedhbi, membre du bureau exécutif de la section pêche du syndicat Synagri de Bizerte. En effet, la biodiversité unique de la Méditerranée est en déclin depuis des décennies. Des chercheurs européens ont établi qu’un tiers des populations de poissons qu’elle renferme a disparu au cours des cinquante dernières années. En cause, les pollutions terrestres, le réchauffement climatique et la surpêche.
« Le manque d’oxygène dans la mer à cause de la pollution marine a des conséquences direct sur la présence des espèces. Avant nous avions des espèces que l’on trouvait toute l’année. Par exemple, la seiche, nous la péchions toute l’année, maintenant ce n’est plus le cas. Ceci est dû aussi à la surpêche et à certains pêcheurs, illégaux, qui n’hésitent pas pêcher des poissons qui n’ont pas encore pondu leurs œufs », nous dit-il.
L’invasion du crabe bleue dans les eaux tunisiennes a également eu un impact important sur certaines sortes de poissons. « A Bizerte il y a de moins en moins de de Pataclet (Sbares) à cause du crabe bleu ».
Il explique que le déclin se fait surtout sentir depuis 2015. « Sur 100 bateaux en mer, entre 60 et 70 réussissaient de bonnes pêches, aujourd’hui ce nombre a été réduit à une dizaine », affirme Mohamed Mhedhbi.
« Aujourd’hui les pêcheurs vivent en fonction de ce qu’ils prennent dans leurs filets. Nous travaillons par session. Par exemple, cette année à Bizerte, nous avons une bonne saison pour le rouget », ajoute-t-il.
Autre raison, et non des moindres, celle de la hausse des prix du carburant. « Même si le carburant est subventionné, les différentes augmentations ont eu un sévère impact pour les pêcheurs. Si parfois, ils n’arrivent pas à rentabiliser leur journée, certains jours le rapport carburant/vente de poisson est juste à la limite du supportable », affirme le représentant syndical.
Ainsi, l’augmentation mensuelle des prix du carburant aura des répercussions importantes sur le coût de production des matières agricoles et sur le pouvoir d’achat du citoyen tunisien. Par conséquent, le manque de carburant entrainera la réduction du taux de production et contribuera ainsi à une augmentation significative des prix.
Wissal Ayadi