Tunisie : Le ras-le-bol des docteurs au chômage, en quête d’emploi !

26-08-2020

Chômeurs depuis des années, souffrant de conditions économiques difficiles, stigmatisés par l’Etat, et isolés socialement, les titulaires du diplôme de doctorat au chômage revendiquent leur droit à l’emploi. Ils tiennent depuis la date du 29 juin 2020 un sit-in ouvert au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

Pourtant, depuis le 54ème jour de protestation, la coordination tunisienne des docteurs et doctorants au chômage qui organise ce sit-in, a décidé l’escalade. Ses revendications n’ont pas été prises au sérieux par l’Etat, notamment par le MES.

C’est ce qu’a confirmé Manel Selmi docteure en chimie, et activiste au sein de la coordination. « Les protestataires appellent à la réouverture de la session de recrutement des chercheurs et docteurs, interrompue depuis l’année 2015/2016, à cause de la situation économique déplorable du pays », a-t-elle souligné.

« L’ouverture des candidatures a été annoncée durant l’été dernier, pourtant aucune soutenance n’a été tenue, et aucun candidat n’a été convoqué pour passer les examens… », nous dévoile-t-elle.

D’autre part, la coordination exige un recrutement « urgent » des contractuels et des chercheurs au chômage de longue date dans les universités. Ainsi que l’embauche des docteurs dans les laboratoires de recherche, tout en leur garantissant des salaires, et une couverture sociale, digne du dur labeur qu’ils ont enduré pour obtenir le plus haut diplôme distinctif universitaire.

« Face aux revendications de la coordination, et du sit-in qui se poursuit depuis des semaines, le ministère fait la sourde oreille », a indiqué Manel Selmi.

« Un avenir sombre »

« A cause de l’absence des recrutements, les bac+8 ou encore les bac +10 se trouvent obligés de cumuler les vacations, et se font payer 7 à 15 dinars l’heure dans les universités privées. D’autres chercheurs se contentent d’un contrat semestriel, de 6 mois renouvelables une année, avec 790 dinars le mois, et une couverture sociale minime. Quant aux plus chanceux, soit ils travaillent en tant que contractuels, avec 1200 dinars le mois et reçoivent leurs salaires à la fin de l’année ; soit  ils réussissent à décrocher un contrat de post-doctorat à l’étranger. Une opportunité pour se faire un réseau facilitant leur installation définitive, ailleurs».

Il s’agit d’un choc pénible, que 5000 docteurs au chômage en Tunisie ont dû ressentir, nous a confié un docteur issu d’une filière littéraire, à la recherche d’un emploi depuis quelques années…

Les choix de carrière qui se présentent devant les docteurs ne sont pas nombreux, ajoute-t-il, rappelant que certains ont opté pour une reconversion professionnelle, histoire de se sauver au plus vite du chômage qui les consume tant sur le plan sociale, et psychologique.

« Dévalorisation, non reconnaissance, et déclassement social des hautes études. Une image dégradante sur la valeur du savoir, que l’Etat est en train de renvoyer aux générations futures… », conclut-il avec beaucoup d’amertume.

Une autre jeune docteure au chômage spécialisée en biologie a indiqué qu’elle a fait plus que 10 ans d’études après le bac pour obtenir ce grade universitaire.

« Tout comme mes collègues, je suis confrontée à une grande déception. Pas d’emploi, sinon des salaires très bas, des contrats dégradants, et un avenir qui s’annonce sombre pour la plupart des docteurs,  s’exprime-t-elle avec regret… « S’y ajoute, le regard méprisant de l’entourage, accusant la crédulité de faire de longues études en vain Â»

« Inconscients des conséquences d’un tel cursus, du temps perdu à étudier, et de l’effort intellectuel qui n’a  pas abouti à grand-chose, difficile de ne pas s’indigner pour notre droit au travail. Les protestations organisées par la coordination tunisienne des jeunes docteurs au chômage, sont notre ultime moyen pour se faire entendre par un Etat qui fait la sourde oreille depuis 5 ans maintenant », s’indigne-t-elle.

 « Recrutement de 250 docteurs au poste de maître-assistant »

Pourtant, plusieurs décisions ont été prises par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique en réponse aux revendications des sitineurs. Elles semblent ne pas satisfaire les docteurs au chômage, ayant choisi d’entamer leur grève tant que leurs demandes ne sont pas entendues.

La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique par intérim, Lobna Jeribi, a annoncé jeudi dernier  des mesures immédiates et cela lors d’une interview accordée à la TAP.

Selon elle,  il y aura l’ouverture d’une session de recrutement de 250 docteurs au poste de maître-assistant durant l’année universitaire (2020/2021) et ce, en plus  de 1.000 contrats supplémentaires  dans le secteur privé. Il y aura aussi l’augmentation des salaires des maitres-assistants à 1.600 dinars au lieu de 1.400 dinars par mois. S’y ajoute la prolongation des contrats à 12 mois au lieu de 10 mois par an, avec l’augmentation de la durée du contrat d’une année à deux ans et aussi la possibilité de renouvellement d’une troisième année

Jeribi a aussi annoncé le dédoublement du nombre de bourses post-doctorales financées par des projets de coopération internationale et des bailleurs de fonds atteignant ainsi 882 bourses avec une augmentation de valeur de 25% pour atteindre 1.500 dinars par mois.

A cet égard, la coordination tunisienne des docteurs et doctorants au chômage a rejeté ces solutions dites « provisoires, ayant l’effet d’un anesthésiant temporaire », selon les dires de l’activiste Manel Selmi.

 « 2000 contrats, sans un réel recrutement ne représente pas une solution efficace traitant la cause des docteurs. Au lieu de proposer au minimum 800 postes, le ministère choisit de tergiverser, et propose encore une fois des contrats précaires… ».

Les protestations des docteurs au chômage continuent. Les négociations avec le ministère de l’enseignement supérieur également. Pour eux, soit l’emploi ou l’envahissement des halls du ministère !

Emna Bhira