Tunisie : « Les révocations visent à libérer des places stratégiques pour nommer des magistrats de complaisance » (Hmaïdi)

09-06-2022

Massacre, purge, exécution, diabolisation, dénigrement… Les mots n’ont pas manqué  au président de l’Association des magistrats tunisiens (ATM), Anas Hmaïdi, pour qualifier le décret émis par le président de la république révoquant 57 magistrats.

Une conférence de presse a été organisée ce jeudi 9 juin à Tunis par la coordination des structures judiciaires qui réunit toutes les associations relevant de la magistrature.

C’est main dans la main qu’ils ont décidé de s’unir afin de dénoncer ce décret qu’ils considèrent comme étant « la volonté de Kaïs Saïed d’asseoir sa mainmise sur le pouvoir judiciaire ».

« Nous sommes tous réunis pour faire vivre la voix de toutes les libertés », a commencé par dire Anas Hmaidi.

Il a expliqué, par ailleurs, que ces révocations ont été faites hors de tout cadre constitutionnel et légal, citant à cet égard, les articles 24,27, 107 et 108, que « le président aurait violés ».

« Il s’agit là d’une campagne de dénigrement organisée à huis clos au sein même du ministère de l’Intérieur. Kaïs Saïed a commencé par la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et maintenant il s’en prend à des juges qui ne sont sous le coup d’aucune procédure judiciaire », a-t-il déclaré.

« Il justifie ces révocations par « la lutte contre la corruption, mais il n’a aucune preuve de ce qu’il avance. C’est une injustice et nous le refusons! », poursuit-il.

Hmaïdi accuse le président de la république de « mettre tout le monde dans le même sac, en accusant tous les magistrats de corrompus ». « Le Chef de l’Etat n’a aucun pouvoir lié à la révocation des juges, cette tâche incombe au Conseil supérieur de la magistrature », souligne-t-il.

« Cette situation n’est jamais arrivée dans aucun pays démocratique du monde», lance Hmaidi.

Ils n’ont pas obéi aux instructions

De son côté, le président du Syndicat des Magistrats tunisiens, Aymen Chtiba, a dénoncé le fait que ce décret ne permet pas aux magistrats cités dans cette liste de se défendre. « Comme tout citoyen, ils ont droit de se défendre et ils ont aussi le droit à la présomption d’innocence. Or, avec ce décret, la décision est irrévocable et ne leur donne pas la possibilité de se pourvoir devant la justice afin de la contester », a-t-il déclaré.

« Ces 57 juges ont été révoqués, non pas parce qu’ils sont soupçonnés de corruption, mais parce qu’ils n’ont pas suivi certaines instructions émises par le sommet de l’Etat dans certaines affaires », a-t-il souligné.

Chitba a, dans ce contexte, rappelé que les magistrats, qui mènent une grève depuis 4 jours des suites de ce décret, ne sont manipulés par aucun pouvoir politique ou partisan.

Par ailleurs, la coordination des structures judiciaires a présenté lors de la conférence de presse un aperçu détaillé sur le rang, la qualité et la fonction des 57 magistrats révoqués.

« Les deux tiers des personnes présentes sur cette listes n’ont aucune affaire, mais ils ont seulement été révoqués parce qu’ils n’ont pas suivi les consignes de la présidence », assure Hmaïdi.

Le président de l’AMT a notamment rappelé l’affaire de la juge qui a fait l’objet d’une altercation avec un policier et qui a bénéficié d’un non-lieu. « Elle est sur cette liste alors qu’elle a été innocentée ! », dit-il.

Il a également fait référence la juge qui opère à la Cour d’Appel de Tunis qui aurait reçu des instructions du ministère de la Justice afin d’orienter une affaire impliquant l’UGTT, dans une commission précise. Chose que la magistrate a refusé de faire. Elle aussi, à sa grande surprise, s’est vu être révoquée.

Aussi, pour justifier de la réelle indépendance des magistrats tunisiens, il a rappelé que la juge qui avait été interpellé avec une importante somme d’argent à bord de sa voiture était bien en prison. « Cela prouve bien que nous n’avons aucune complaisance avec les juges corrompus ».

« En tout, 45 magistrats sur les 57 révoqués n’ont pas de dossiers à l’inspection générale et n’ont pas comparu devant le conseil supérieur de la magistrature », assure Anas Hmaïdi.

« Ces révocations ont été réalisées sur la base de rapports sécuritaires secrets », a-t-il poursuivi.

Enfin, le président de l’AMT a déclaré que ces révocations avaient pour but de libérer des places stratégiques dans l’appareil judiciaire afin de nommer des juges de complaisance. « J’appelle les juges qui seront appelés à prendre les postes en question à refuser », a lancé Hmaïdi devant la presse présente.

Anas Hmaïdi a rappelé que la grève entamée depuis lundi 6 juin est suivie jusqu’à aujourd’hui à 99% dans tous les tribunaux du pays, assurant la poursuite du mouvement jusqu’à ce que Kaïs Saïed revienne sur sa décision, appelant le président à « ne pas écouter les médisants ». 

« Nous n’accepterons ni soumission, ni humiliation. Nous sommes prêts à juger tous les magistrats qui sont vraiment impliqués dans des affaires de corruption. Nous sommes pour une justice juste », a-t-il conclu.

Wissal Ayadi