Tunisie/ Loi sur l’état d’urgence : tardive mais nécessaire, face à l’épuisement (Dr Kallel)

05-05-2021

La Tunisie connait aujourd’hui sa plus grosse vague de coronavirus depuis le début de l’épidémie.

Pourtant, il y a un an, à l’apparition du virus dans le pays, les autorités avaient mis en œuvre les mesures nécessaires afin de limiter sa propagation… Fermeture des frontières, confinement général, couvre-feu… autant de mesures fortes qui ont permis à la Tunisie de se classer parmi les meilleurs pays au monde dans la lutte contre le Covid-19.

Aujourd’hui, il n’en est plus… La vague meurtrière s’est installée depuis plusieurs semaines, mettant à mal les services de santé et laissant le virus se propager à une vitesse fulgurante.

Face à cette situation, le gouvernement a décidé de mettre les bouchées doubles afin de lutter contre ce fléau qui fait, chaque jour, des centaines de morts, mettant la Tunisie en tête au niveau mondial en termes de décès.

Ainsi, les pouvoirs publics ont pris la décision de mettre en place une loi d’urgence sanitaire.

En cours d’élaboration à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), elle doit permettre de renforcer les restrictions mais surtout de faire respecter les gestes barrières, qui sont, semblent-ils, négligés par les Tunisiens.

Afin d’en savoir plus sur cette loi, nous nous sommes adressés à des « hommes de loi », et au personnel de santé.

Pendant la première vague en mars dernier, l’état tunisien avait mis en place deux dispositifs afin de lutter contre la pandémie. D’abord, il y a l’Etat d’urgence, dit « sécuritaire » qui est en vigueur depuis la Révolution, soit plus de 10 ans. Mais il faut savoir que l’Etat d’urgence est un cadre qui est normalement déployé en cas de guerre ou plus généralement en cas d’atteinte à l’intégrité de la nation. Mais il ne régit en aucun cas une situation sanitaire grave. En effet, à l’arrivée du Covid-19 en Tunisie, aucun cadre juridique n’existait pour gérer une pandémie.

Autre dispositif mis en place à l’ère de la gouvernance de Elyes Fakhfakh, celui de l’Etat d’exception, correspondant à l’article 80 de la Constitution. Il permet l’habilitation du chef du gouvernement à légiférer par voie de décret-loi. Cela avait permis à Fakhfakh de légiférer, en émettant une trentaine de décret-loi, pour lutter contre la crise, sans passer par un vote à l’Assemblée. Un gain de temps considérable ayant permis notamment la mise en place d’un couvre-feu national et d’un confinement généralisé.

Une loi organique et non ordinaire

Afin de comprendre les tenants et aboutissants de la loi d’urgence sanitaire voulue par le gouvernement, nous avons fait appel à Amine Thabet, enseignant en droit public à la Faculté des Sciences Juridiques de Tunis.

« Il faut une loi pour pouvoir instaurer un état d’urgence sanitaire », nous dit-il. Si dans plusieurs pays voisins, cet état d’urgence sanitaire a été mis place dès le début de la pandémie, en Tunisie, la réflexion a été posée il y a seulement une semaine. Certains diront il vaut mieux tard que jamais, mais la situation sanitaire que vit la Tunisie aujourd’hui nous oblige à nous poser des questions quant au calendrier tardif de cette décision.

« C’est la chose à faire pour ne pas recourir à des cadres qui n’existent pas », souligne Thabet. Comme mentionné plus haut, la marche à suivre en cas de pandémie n’existait dans aucun texte de loi. « D’ailleurs, le concept de confinement n’existe pas dans la loi tunisienne. Il a été crée par décret présidentiel, par Kaïs Saïed sur la base de l’Etat d’exception », nous rappelle le professeur.

Pour autant, selon Amine Thabet, il y a quelques conditions à l’élaboration de cette loi. D’abord il faut qu’elle soit une loi dite « organique » et non « ordinaire », car elle touche aux libertés. Elle nécessitera donc un vote avec un minimum de 109 voix pour à l’Assemblée.

« Il faudrait également que l’Etat d’urgence sécuritaire soit levé afin d’éviter un chevauchement avec l’Etat d’urgence sanitaire et donc une confusion dans la nature répressive de la loi », nous dit Thabet.

A cet égard, le juriste explique que dans la loi d’urgence sanitaire, il faudrait que les principes de l’état d’exception et d’urgence y soient réunis.

Grâce à la mise en place de la loi d’urgence sécuritaire, le confinement et autres infractions, le non respect des protocoles sanitaires et autres gestes barrières seraient donc régis légalement, laissant la possibilité aux forces de l’ordre réprimander, là aussi légalement, ceux qui ne les respectent pas.

« L’année dernière pendant le premier confinement, il y a eu un moment de flottement quand des voitures ont été saisies, alors qu’aucune loi n’était mise en place pour régir ce genre d’infractions. C’est suite à un décret-loi de Fakhfakh que cela a pu devenir légal et officiel », affirme le professeur de droit.

Expériences comparées

Afin d’anticiper les éventuelles composantes que contiendra cette loi, nous avons pris l’exemple français. En vigueur depuis le 17 octobre 2020, l’Etat d’urgence sanitaire permet:

– Des mesures limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion (y compris des mesures d’interdiction de déplacement hors du domicile).

– Des mesures de réquisition de tous biens et services nécessaires pour mettre fin à la catastrophe sanitaire.

– Des mesures temporaires de contrôle des prix.

La loi d’état d’urgence sanitaire française prévoit des sanctions de non-respect des mesures prises.

Le fait de ne pas respecter les réquisitions est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende.

« La violation des autres interdictions (interdictions de déplacement, de sortie hors du domicile, etc.) est punie de l’amende prévue pour les contraventions de quatrième classe, et de cinquième classe en cas de récidive dans un délai de quinze jours. En cas de trois violations constatées dans un délai de 30 jours, la sanction est portée à six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende, ainsi qu’une peine complémentaire de travail d’intérêt général et la suspension du permis de conduire lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule ». (Source: https://www.vie-publique.fr/fiches/273947-quest-ce-que-letat-durgence-sanitaire).

Des sanctions qui pourraient inspirer la Tunisie pour l’élaboration de sa loi. En effet, le relâchement de la population vis à vis des gestes barrières, comme le port du masque et la distanciation sociale, sont une des conséquences de la propagation du Covid-19 dans le pays.

Si certains pourraient considérer cette loi comme liberticide, elle est encouragée par le personnel médical. C’est la cas du Dr Lamia Kallel, présidente du Conseil régional de l’ordre des médecins de Tunis.

Pour elle, cette loi arrive beaucoup trop tard. « Au Maroc elle a été instaurée depuis bien longtemps », déplore-t-elle. Elle ajoute que dans cette loi elle aimerait que le principe de réquisition soit mis en place. « Cela permettrait, par exemple à l’Etat de réquisitionner des cliniques privées pour augmenter le nombre de lits de réanimation », dit-elle.

« Nous sommes épuisés moralement et physiquement à cause la nonchalance des citoyens », nous dit Dr Kallel. « Il ne s’agit pas là de faire de la répression mais juste de faire respecter de simples gestes qui pourraient sauver de nombreuses vies », conclut-elle.

Wissal Ayadi

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Ne soyez pas des singes , émiter les français ou copier sur les voisins, Soyez créatif et adapter quelque chose sur mesure de votre société, les lois Tunisiennes ne doivent pas être une copie colée .