Tunisie/ Tourisme : Timide reprise, les professionnels mettent le doigt là où ça fait mal (Enquête)

21-05-2021

En ces dernières semaines du moi de mai, les températures sont en hausse et la saison estivale arrive à grands pas.

C’est donc le moment pour les hôteliers et agences de voyage de se préparer à accueillir les touristes pour cette seconde saison touristique sous pandémie.

Si les campagnes de vaccination battent leur plein à travers le monde, l’ombre du Coronavirus plane toujours et le tourisme est l’un des secteurs qui a été le plus fragilisé par cette crise sanitaire.

En Tunisie, la situation est encore compliquée… Même si les chiffres des contaminations et des décès sont en légère baisse, une quatrième vague reste possible.

Pourtant, les professionnels du secteur gardent espoir et essayent de survivre tant bien que mal.

Comment envisagent-ils la reprise ? Quelle stratégie est-elle mise en place ? Qui sont les touristes ayant choisi la destination Tunisie pour leurs vacances? Enquête.

Les prémices d’une reprise

Les recettes touristiques ont chuté de 64 % à 1,9 milliard de dinars (691 millions de dollars) entre le début 2020 et le 10 décembre, par rapport à la même période en 2019.

Une perte considérable quand on sait que le secteur du tourisme représente environ 14% du PIB, soit son deuxième contributeur après l’Agriculture.

Depuis le début de la pandémie, il y a un peu plus d’un an, les touristes ont déserté la Tunisie mettant à mal les plus grandes stations balnéaires du pays. Selon les chiffres de la Fédération Tunisienne de l’Hôtellerie, 80% des hôtels ont fermé, dans l’attente d’une reprise.

Mais, depuis le début du mois de mai, une lueur d’espoir semble apparaître. Les premiers avions remplis de touristes ont atterri sur le sol tunisien. En effet, chaque semaine des centaines de voyageurs débarquent dans les aéroports d’Enfidha- Hammamet et Monastir. Ces touristes viennent tous d’Europe Centrale ; de Russie, de Biélorussie, de République tchèque, de Pologne et du Luxembourg.

Le ministre du Tourisme, Habib Ammar, et une délégation gouvernementale n’ont pas hésité à se rendre en Russie au mois d’Avril afin de promouvoir la destination Tunisie, notamment pendant la période estivale.

La Tunisie attendrait dans les prochains jours 82 vols transportant des touristes étrangers, a révélé Habib Ammar, dans une récente déclaration médiatique.

Seul un test PCR négatif de moins de 48h leur est demandé ainsi que le respect strict du protocole sanitaire.

Une manne non négligeable pour la Tunisie, qui se trouve dans une situation économique et sociale inquiétante. En effet, faute de touristes, des centaines de milliers d’employés du secteur se sont retrouvés en difficulté.

Un marché qui change

Afin d’en savoir plus sur le nature du marché touristique en Tunisie, nous nous sommes adressés à Khaled Gnaba. Il est le CEO de la société Meeting Point Tunisia. Cette agence est un relais local de plusieurs Tour Operator étranger. Il travaille avec plusieurs pays, principalement l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche et la France. Il explique qu’aujourd’hui le marché du tourisme tunisien est scindé en trois principaux marchés.

D’abord, celui de l’Europe de l’Est. En effet, depuis environ 4 ans, le flux de touristes venus de cette zone ne cesse d’augmenter. « A la base, ces voyageurs allaient en Egypte et en Turquie. Mais avec l’insécurité et les tensions politiques, ils se retournent désormais vers la Tunisie », nous dit-il.

Selon lui, leur nombre est passé de 350.000 à 700.000 en l’espace de 4 ans.

Ensuite, le marché dit maghrébin. Il comprend à la fois le tourisme local, libyen et algérien. « Nous ne pouvons pas négliger ce marché, mais il ne constitue pas une réel pilier de développement », indique le professionnel. En effet, d’après ce dernier, nos voisins algériens ne passent pas plus de 60 jours sur une année en Tunisie et les Tunisiens ne consacrent que 10 week-end par an pour faire du tourisme. « Certes c’est un marché qui nous a sauvés, mais il nous a seulement permis de survivre », ajoute-t-il.

La dernière catégorie de touristes correspond à  ceux qui viennent d’Europe. Il s’agit là du marché qui rapporte le plus d’argent au secteur. « Malheureusement, il ne faudra pas compter sur eux cette année pour pouvoir parler d’une vraie reprise car la Tunisie n’est pas encore dans leur liste prioritaire à cause de la situation sanitaire fragile », conclut-il.

Seule solution pour la reprise, la vaccination !

Avec encore des milliers de contaminations par jour et de nombreux décès, la Tunisie se bat encore contre cette pandémie. L’ombre d’une quatrième vague a même été évoquée par les autorités, ne laissant pas beaucoup de chances à la réussite de la saison touristique qui arrive.

Abdessattar Badri est le Directeur Général de TTS. Il s’agit de la plus grande agence de voyage du pays. Elle détient la majorité marchés avec les plus célèbres Tour Operator du monde mais également la compagnie aérienne Nouvel Air.

Pour ce dernier, le développement du marché destiné aux Russes et à d’autres pays d’Europe Centrale et de l’Est est « bon à prendre ». Des propos nuancés qu’il justifie en disant qu’il s’agit d’un marché qui vise la survie et surtout la préparation à l’année prochaine. « La Tunisie est un marché à vocation européenne. Nous avons besoin que les touristes français, allemands et anglais reviennent », dit-il.

Pour Badri, le réel frein à une reprise franche demeure la vaccination. En effet, la Tunisie accuse un retard de plus en plus important par rapport aux pays dont sont issus ses touristes. Aujourd’hui, seul environ 2% de la population s’est faite vacciner, trop peu pour améliorer l’indice d’incidence.

« Aujourd’hui, les TO regardent avant tout l’avancée des campagnes de vaccination et l’indice de contaminations par nombre d’habitants afin de recommander des séjours », affirme le DG de TTS. Il ajoute que le minimum serait de faire en sorte que les personnels agissant dans le secteur du tourisme soient vaccinés en priorité afin de faire passer un message positif à la fois aux TO, mais aussi aux Etats.

Plusieurs pays ont adopté un code à trois couleurs (Rouge, Orange, Vert) à l’attention de leurs ressortissants qui voudraient voyager. « Pour le moment, l’Angleterre nous a placés en orange, c’est à dire que les touristes seront soumis à un confirment obligatoire à leur retour dans leur pays », indique Abdessattar Badri.

Pour comparaison, nos voisins marocains ont avancé d’une manière considérable dans leur campagne de vaccination. Avec 300.000 personnes vaccinées chaque jour, dans un mois, en pleine saison touristique, la population sera vaccinée à 50 %.

Abdessattar Badri deplore le manque de coordination du gouvernement avec notre Ministère tutelle dans la gestion de cette pandémie . « Les mesures de soutiens sont insuffisantes pour nous garantir le maintien des emplois et les décisions du comité scientifique ne tient en cas compte des spécificités du secteur tourisme », indique-t-il.

En effet, le couvre-feu, le confinement décidé la veille et le manque de contrôle du respect des gestes barrières, nuisent à l’image de la Tunisie auprès des voyagistes internationaux.

Ce constat est également partagé par Dora Milad, présidente de la Fédération tunisienne de l’hôtelletrie. elle nous indique que depuis le début de la pandémie, 80% des hôtels ont fermé leurs portes faute de clientèle.

« A Djerba 95% des hôtels ont fermé, seuls deux d’entre eux sont restés ouverts », souligne-t-elle.

Elle aussi, espère que les professionnels du secteur du tourisme feront partie des personnes vaccinées en priorité. « D’autres pays concurrents directs du bassin méditerranéen, comme la Grèce et la Turquie, l’ont déja fait et cela fonctionne », nous dit-elle.

En effet, si d’autres pays ont engagé depuis plusieurs mois une stratégie de tourisme post-covid, la Tunisie semble naviguer à vue.

La Présidente de la FTH avait même fait une requête au gouvernement afin que chaque établissement puisse prendre en charge financièrement la vaccination de son personnel, en vain.

D’après Dora Milad, cette saison qui arrive sera synonyme de survie pour se préparer à 2022. Une urgence, selon elle, afin de ne pas détruire en un an ce qui a mis 50 ans à se construire.

Wissal Ayadi