Tunisie : Un politologue analyse les insuffisances et irrégularités ayant entaché le référendum

28-07-2022

Selon des résultats officiels préliminaires, 94,6 % des électeurs tunisiens qui se sont rendus aux urnes ont voté « oui » à l’adoption de la nouvelle Constitution proposée par le président Kaïs Saïed.

Un chiffre qu’il faut bien sûr nuancer à cause du faible taux de participation, établi à 30,5%, soit un record d’abstention de 75%…du jamais vu dans l’histoire des élections de la Tunisie post-révolutionnaire.

Afin d’analyser ces résultats, nous nous sommes entretenus avec le politologue, Hamza Meddeb.

Une élection minée par le manque de transparence

Selon l’Instance supérieure pour des élections indépendantes (ISIE), un peu plus de 30% des électeurs tunisiens se sont déplacés dans les bureaux de vote afin de donner leur avis sur le texte de la nouvelle Constitution. En effet, ils ont été peu nombreux a être attirés par ce scrutin qui pourrait pourtant redessiner l’avenir du pays.

D’après Hamza Meddeb, politologue, ce scrutin a été miné par un manque de transparence dans son organisation. « Cette élection est plutôt loin des standards que l’on a connu depuis ces 10 dernières années. On en revient au débat sur le mode de fonctionnement et les nominations des membres de l’Instance supérieurs pour des élections indépendantes (ISIE). De plus, Le président a annoncé un calendrier sur lequel l’ISIE n’a pas été consulté. Rappelons que la désignation du jour du scrutin n’a pas fait l’objet de consultation avec l’instance. Cette dernière s’est vue imposée un calendrier et elle a dû s’exécuter. Cette situation a beaucoup privé l’ISIE de son autonomie et cela s’est fait ressentir dans l’organisation », affirme Meddeb.

Hamza Meddeb / Politologue

« Par ailleurs, nous avons  vu beaucoup d’éléments ayant entaché le processus qui ont mené au référendum et aussi le jour même du scrutin, et ce de l’avis même des observateurs électoraux comme Mourakiboun ou ATIDE », ajoute-t-il.

Dans ce sens, Hamza Meddeb rappelle que des infractions ont été commises la veille du vote, jour du silence électoral. « Les observateurs ont relevé que des affiches de propagande ont circulé, il y a eu des compagnes de mobilisation sur les réseaux sociaux et certains députés qui soutiennent le président n’ont pas hésité à proposer leurs services à ceux qui veulent se déplacer dans les bureaux de vote afin de les accompagner et ce la veille même du scrutin au vu et au su de tout le monde sur les réseaux sociaux. Le jour du vote, Mourikboun a  aussi relevé des cas de personnes qui ont voté sans présenter leur pièce d’identité.», nous dit le politologue.

« Je ne veux pas dire que cela remet en cause complètement la fiabilité des résultats, mais les standards laissent à désirer car, par le passé, le pays a été capable d’organiser des élections dans de meilleures conditions, précise-t-il.

Ce dernier déplore, également, l’absence d’observateurs, dans certains bureaux de vote, qu’ils soient nationaux ou étrangers, censés garantir le transparence du scrutin.

Personne ne sort gagnant

Avec un taux de participation de 30% et un taux d’abstention à 70 %, difficile de dire si ce référendum a été un échec pour Kaïs Saïed ou une victoire pour ses détracteurs.

« Sur le taux de participation, on peut dire que tout le monde sort frustré, désenchanté ou insatisfait. D’abord Kaïs Saïed aurait espéré beaucoup mieux. D’autre part, les opposants à Saïed avaient espéré beaucoup moins », nous dit le politologue.

Dans une déclaration médiatique, le soir du référendum, sur l’avenue Habib Bourguiba, Saïed a reconnu le fait qu’il aurait espéré mieux, imputant ce faible taux de participation à la saison estivale  et aux vacances.

D’autre part, l’opposition, dans son discours politique, traduit les 70% d’abstention (à peu près) comme étant  une non-volonté de soutenir le processus engagé par le président, sans pour autant parler des 92% des bulletins dépouillés en faveur du « oui » (estimations).

Dans ce sens, le Front de salut national a publié un communiqué dans lequel il appelle à la démission du Président suite à ce qu’il considère comme un « échec cinglant, quant à obtenir un plébiscite populaire au projet putschiste de Kaïs Saïed, perdant ainsi toute raison de demeurer au pouvoir », pouvait-on lire.

Il en est de même pour les partis sociaux-démocrates qui appellent eux aussi à la démission du président. 

 » Environ 2,3 millions de Tunisiens ont voté « oui » au projet de constitution, soit 23% du corps électoral. Si on additionne ceux qui ont boycotté activement (21%) et les gens qui ont voté « non » (2%), on se retrouve avec 23%. Enfin, il y a 55% des gens qui n’ont pas été voter qu’on appelle « la majorité silencieuse ». Par conséquent, on peut considérer que l’on a réellement une véritable polarisation politique entre ceux qui soutiennent Saïed, ceux qu’y s’y opposent frontalement, via le boycott et le non, et on voit plus de 50% de l’électorat se murer dans le silence », analyse Hamza Meddeb.

Une majorité silencieuse qu’il ne faut pas négliger

Beaucoup de clés de lecture existent pour analyser ces chiffres. D’après l’expert en sciences politiques, il y a certainement une insatisfaction par rapport à tout ce processus doublé d’un mécontentement par rapport à l’ancienne classe politique post 25 juillet 2021.

« Depuis un an, nous sentons un mécontentement quant au processus entamé par Kaïs Saïed durant cette année. Ainsi, cette majorité silencieuse, pour la plupart, rejette dos à dos à la fois Kaïs Saïed et ses opposants. Il y a un désintérêt car leurs préoccupations sont surtout d’ordre socio-économiques et ceux qui ne se ne sont pas exprimés ne croient pas que tout ce débat politique et  constitutionnel soit une solution aux problèmes socio-économiques ».

Ainsi, ce scrutin montre qu’il y a une réelle incapacité à la fois de la part de Kaïs Saïed et des opposants à mobiliser cette majorité silencieuse. Hamza Meddeb assure que cette dernière s’exprimera d’une manière ou d’une autre dans les prochains jours. « Si elle ne s’est pas exprimée dans les urnes, elle le fera dans la rue et ce en fonction du calendrier des réformes économiques et des décisions qui vont être prises par Kaïs Saïed dans les semaines à venir, notamment par rapport aux accords avec le FMI. Toutes ces décisions ne laisseront pas cette majorité silencieuse indifférente ».

« Un référendum non inclusif »

Selon Hamza Meddeb, tout le processus ayant mené à ce référendum n’a pas été inclusif. Il explique qu’il a été rejeté massivement par les élus, les partis politiques, par l’UGTT et par une partie de la société civile, fragilisant la capacité de Kaïs Saïed à mobiliser les électeurs. « Cet échec à construire un processus inclusif s’est traduit par une abstention et un boycott et qui constituent ces 75% d’abstention. Rappelons que Kaïs Saïed a écrit cette constitution tout seul et non pas  par la commission qui en était chargée  et qu’il  a lui même désigné !», a-t-il souligné.

« Finalement, Saïed se contente de ces 2,3 millions qui constituent l’ensemble de ses électeurs et ce depuis 2019. Il n’augmente pas sa base de soutien, mais il ne la perd pas non plus », analyse le politologue.

La question est de savoir si les opposants à Kaïs Saïed avaient appelé les électeurs à se rendre aux urnes pour voter « non » auraient changé les résultats. Pour notre interlocuteur, cette idée est à nuancer.

« Je ne pense pas que si l’opposition avait appelé les Tunisiens à se rendre aux urnes pour voter « non », aurait changé la donne car il n’y avait pas assez de garanties de transparence pour ceux qui appellent au boycott, d’avoir des résultats fiables et probants quelques soient les résultats. On en revient dans ce sens à l’indépendance entachée de l’ISIE. Pour autant, cela aurait pu avoir un impact sur la participation, mais, en réalité, leur stratégie était justement de faire baisser au maximum cette participation », affirme Meddeb.

« Ceux qui ont appelé au boycott n’avait de toute façon aucun doute sur l’issue de ce scrutin… il savaient très bien que le « Oui » allait l’emporter largement », conclue-t-il.

Wissal Ayadi