Chirurgie esthétique : Enquête sur la beauté au bistouri en Tunisie
Rhinoplastie, implants mammaires, « Mommy makeover », liposuccion ou encore un « Body Sculpting », toutes ces opérations esthétiques s’inscrivent de plus en plus dans les mœurs de la société tunisienne. Quête de la perfection physique, un égo démesuré, ou juste une envie de se débarrasser d’un complexe ? Gnetnews est parti à la rencontre des adeptes de la chirurgie plastique, et des professionnels de la médecine esthétique pour découvrir leurs motivations…
« Durant la puberté, et après l’adolescence, j’ai constaté que le volume de ma petite poitrine n’allait plus augmenter. J’étais plate, et je me sentais embarrassée par mon manque de féminité. J’ai sauté donc sur la première occasion pour me refaire les seins ! A l’âge de 25 ans, j’ai gagné ma première prime annuelle qui m’a permis de passer à l’acte! »
C’est ce que nous a confié, cette jeune femme qui a maintenant 30 ans, et qui se dit très satisfaite du résultat. Selon elle, cette opération lui a redonné confiance en elle. « Malgré la lourdeur de cette intervention médicale, et son coût plutôt élevé (3500 dinars en 2015), j’ai trouvé que ça valait le coup. Ma vie a changé, et je me sens complète devant moi-même et les autres femmes…»
Nous avons aussi rencontré cette jeune fille de 23 ans, qui souhaite refaire son nez, et opter pour une rhinoplastie. « J’ai été harcelée à l’école à cause de mon nez disgracieux. Maintenant, puisque j’ai la possibilité de le corriger, et l’autorisation de mes parents, je pense sérieusement à résoudre ce problème avec le bistouri ! ».
Un problème psychologique qui se cache derrière chaque chirurgie esthétique
« Les personnes qui passent à l’acte sont généralement des patients qui ont dû souffert psychologiquement à cause d’un complexe physique, ce qui les pousse à régler ce défaut par une intervention chirurgicale. Ça demande beaucoup de courage pour franchir le pas et passer sur le billard, car les opérations esthétiques sont lourdes. Elles demandent une anesthésie générale, une hospitalisation, et des soins post opératoires, pour les plaies, les sutures, et le suivi de l’efficacité de l’opération ».
C’est ce que nous a expliqué Dr. Mehdi Dhieb spécialisé en chirurgie esthétique. Cela part toujours d’un problème psychologique qui est devenu handicapant pour le patient, nous a t-il confié. « s’y ajoute la culture de l’individualisme et l’envie de cultiver l’amour de soi… Ces raisons incitent les gens à prendre plus soin d’eux, à s’entretenir excessivement, à choisir un régime alimentaire « Healthy », à faire du sport intensément…Être beau ou belle, fait partie désormais de ces critères de la performance physique. Les gens s’auto-façonnent pour rester dans cette course affective ou encore professionnelle ».
« Par ailleurs, plusieurs cliniques proposent une facilité de paiement, ce qui explique l’affluence des patients provenant de toutes les classes sociales. Avoir un revenu moyen, n’empêche plus de se faire plus beau ! », a-t-il ajouté. « En général, c’est la classe moyenne qui vient pour se faire opérer. Les plus aisés se dirigent vers des cliniques plus prestigieuses à Dubaï ou bien à Londres », conlut-il.
« En Tunisie, on ne doute pas de la compétence de nos chirurgiens chevronnés, dont les plus anciens pratiquent près de 500 opérations par an, comparés aux chirurgiens français qui opèrent en moyenne 10 patients par mois. C’est de la médecine Low Cost qu’on propose ici en Tunisie, pourtant nos services sont hautement qualifiés.
Malheureusement on est classés avec le Brésil, l’Asie, et le Mexique à cause de nos tarifs très bas et de la dépréciation du dinar… », A déploré Dr.Dhieb.
Le rêve de gagner dix ans
Quant aux causes de la banalisation de ces actes chirurgicaux, Dr. Baya Bouricha médecin esthétique dans une clinique privée à Tunis, nous a confirmé que « la chirurgie esthétique n’est plus un tabou ni pour les femmes ni pour les hommes. Les mineurs aussi sont concernés maintenant. Ils viennent consulter avec leurs parents…Bref, tout le monde est obnubilé par l’apparence. Le problème c’est qu’on y fait de plus en plus appel pour des défauts mineurs…».
« D’autre part, les industries pharmaceutiques et cosmétiques américaines misent sur les campagnes publicitaires pour être les premiers sur le marché. Ils matraquent visuellement aussi  bien les jeunes que les plus âgés à travers la télévision, internet, et les réseaux sociaux…On leur vend le rêve de gagner dix ans, de retarder la vieillesse, de ressembler à une star, et cela grâce à des produits qui gonflent les lèvres, des injections qui rajeunissent, raffermissent, retendent et purifient la peau…Tout cela, fait des cibles de ces industries, des proies induites inconsciemment vers la chirurgie esthétique. Encore mieux, les médias sous entendent que ce sont des interventions banales et pratiquées par tous…Alors qu’en réalité, ces opérations coûtent cher… »
« Le PRP, par exemple, désignant une injection de plasma riche en plaquettes dans le but de redynamiser le visage et éviter les rides, a gagné en popularité grâce à l’influenceuse Kim Kardashian. Durant sa première séance d’injection, elle a posté une photo sur Instagram. Et, depuis ce traitement est devenu incontournable pour les célébrités et pour toutes les femmes souhaitant donner plus d’éclat à leur peau… », nous a fait savoir Dr.Bouricha.
« Quant à  la mésothérapie et le skinbooster (injections de vitamines pour hydrater et donner éclat au visage), ils sont aussi très sollicitées par les patientes, fumeuses notamment. Ces traitements sont désormais banalisés, pour devenir des soins comme les autres.»
 « Le plus étonnant c’est qu’il existe des hommes qui ramènent leurs fiancées avant le mariage pour une augmentation mammaire ou du fessier. C’est une approche certes mercantile, pourtant elle est adoptée fréquemment au sein des couples tunisiens. Pour certains, tous les moyens sont bons pour garantir l’affinité physique une fois mariés… D’autres femmes, ramènent leurs conjoints atteints de calvitie pour les convaincre d’une greffe de cheveux…On est désormais dans l’ère de la démocratisation de la beauté et du culte de la jeunesse ! ».
Attention aux produits contre-faits
Les prix d’une seule injection pour un comblement des lèvres à l’acide hyaluronique, vont de 350 dinars jusqu’à 800 dinars. Une injection au botox fait aussi le même prix.
 « Tout dépend de la marque des produits. Et ça ne veut pas dire que le plus cher est le meilleur », nous a expliqué Dr.Bouricha. « Le tarif prouve seulement que l’industrie pharmaceutique ou cosmétique, a plus dépensé dans le marketing de ses produits. Les moyens investis dans la commercialisation, se répercutent sur les prix ».
« Il faut faire attention aux produits contre-faits, qui se vendent entre particuliers à bas prix, et dont les sources sont inconnues », a ajouté Dr. Bouricha. « Certaines patientes qui n’ont pas les moyens de se payer les produits proposés par la clinique, et dont les salaires ne dépassent pas les 400 dinars parfois, demandent qu’on les injecte avec des produits, ramenés par des particuliers dans des valises. On ne sait pas si ces flacons ont été mis dans les bonnes conditions thermiques et sanitaires…Certains produits sont contrefaits, et leur utilisation peut causer de graves conséquences… ».
« Utiliser les produits du médecin, est le seul moyen pour réussir son injection. Car, tous les médicaments fournis par les cliniques et les cabinets médicaux, sont vérifiés par la direction de la pharmacie et du médicament (DPM), qui coordonne les activités du système national d’assurance qualité des médicaments et procède au contrôle technique de l’importation des médicaments, des accessoires médicaux et des produits cosmétiques à vente limitée aux pharmacies. », explique-t-elle.
« Sinon, il existe aussi d’autres actes médicaux plus avancés et coûteux pour le rajeunissement du visage, comme la mise d’un fil tenseur sous la peau, pour retendre les joues au niveau des mâchoires. La redéfinition du menton pour le rendre plus ovale ou plus carré… ».
« Pour les opérations esthétiques, les interventions les plus sollicitées sont, la liposculture, c’est-à -dire refaire la répartition de la graisse dans le corps, pour avoir des formes plus harmonieuses. Les prix de ces interventions chirurgicales dépendent du nombre des zones d’intervention. Certains optent pour une reconstruction des jambes et du ventre, alors que d’autres patients préfèrent refaire la forme de tout le corps. Il faut compter un budget minimal de 4000 dinars, également pour tout genre d’implant. Ce tarif inclut l’hospitalisation et les soins post médicaux ». Â
Opérations délicates et risquées
En revanche, bien qu’un coup de scalpel puisse vous débarrasser d’un complexe que même un passage chez le psychiatre ne pourra pas traiter…Les opérations esthétiques demeurent des interventions médicales, délicates, compliquées et surtout risquées.
« L’injection du botox pour traiter les paupières tombantes et le regard lourd, peut conduire à un regard figé, un blocage des muscles ou à une asymétrie faciale. Suite à une injection de l’acide hyaluronique, le patient peut avoir un granulome douloureux, car le produit ne se résorbe pas dans la zone d’injection, ce qui conduit à des cernes plus visibles. Le produit peut également migrer dans les creux des yeux. Aussi, certaines injections qui agissent par cumul, ne donnent aucun effet même après trois séances de traitement…Parfois on peut pas savoir comment la peau va réagir… », explique Dr Bouricha.
« Pour la chirurgie esthétique, le patient peut subir un décès brutal à cause de l’anesthésie. Il peut y avoir aussi une infection, un hématome, rupture des implants et une fuite de la silicone dans le corps. Dans le cas d’une abdomino-plastie, la peau meurt dans certains cas, ce qui peut finir avec une nécrose…La liposuccion qui est très demandée, est risquée également. Si on gratte trop pour enlever la graisse, les os vont être touchés, et le patient subira une « embolie graisseuse ». Un traumatisme qui vient suite à une complication durant l’opération ».
Emna Bhira