Tunisie : Les migrants subsahariens confrontés à des difficultés et réclament un meilleur traitement (Entretien avec Ange Seri-Soka)

09-05-2022

La Tunisie est depuis quelques années une des destinations prisées par les migrants subsahariens.

D’après les chiffres officiels, parmi 53 000 étrangers présents en Tunisie, 12 000 sont originaires d’Afrique subsaharienne. Si certains ont pu obtenir un permis de travail et donc une carte de séjour, d’autres vivent en situation irrégulière.

Afin de comprendre à quels problèmes ils font face, nous nous sommes entretenus avec  le Président de l’Union des Ivoiriens en Tunisie, Ange Seri-Soka.

Deux poids, deux mesures dans le traitement des migrants

« 80% de la communauté sub-saharienne qui migre en Tunisie sont des travailleurs », indique Ange Seri Soka, président de l’Union des Ivoiriens en Tunisie. En effet, depuis plusieurs années, la Tunisie accueille de plus en plus de migrants économiques venus essentiellement de Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Mali ou encore du Congo. Les 20% restants sont des jeunes qui choisissent la Tunisie afin de poursuivre leurs études dans les universités tunisiennes.

« Ils viennent pour une vie meilleure car ils croient en la Tunisie. La Tunisie est un pays d’accueil et a contribué à la réussite de nombreux sub-sahariens », ajoute Mr Seri Soka. Pourtant, ceux qui arrivent à obtenir le précieux sésame qui leur permet d’y séjourner, en toute légalité, sont encore rares. Ainsi, notre interlocuteur indique que sur 10 demandes de carte de séjour, seules deux sont acceptées. Et les raisons de ces refus restent encore floues et parfois incompréhensibles.

D’abord, la lourdeur de l’administration tunisienne constitue un véritable frein à la régularisation de ces migrants. Leur situation administrative est régie par la loi datant de 1968 sur la condition des étrangers en Tunisie et son décret d’application. Ces derniers sont conçus, ne prenant pas vraiment en compte les dates réelles d’obtention des certificats d’inscription universitaire, de bails locatifs ou des preuves de la situation financière de ces individus…auxquels il faut ajouter la lenteur administrative et la corruption qui poussent de nombreux sub-sahariens à se retrouver très vite dans l’illégalité, et ce malgré eux.

« Il est très difficile d’obtenir une carte de séjour définitive en Tunisie. Par exemple, on nous demande de justifier notre lieu d’habitation. Or il faut savoir que près de 90% des propriétaires, refusent de délivrer un bail aux locataires sub-sahariens, profitant de la fragilité de cette population », déplore le responsable associatif.

Des difficultés que rencontrent aussi les étudiants. Souvenez-vous, en septembre 2021, une étudiante gabonaise poursuivant son cursus en Tunisie a passé plusieurs nuits à la prison pour femmes de La Manouba sans que les autorités n’aient informé la représentation consulaire du Gabon, ni la famille de la détenue.

Le chef d’accusation à son encontre : « péremption de carte de séjour ». Or la jeune femme ne pouvait obtenir un certificat de scolarité qu’en octobre, au moment de la rentrée, alors que son titre de séjour était périmé à la fin du mois de septembre.

« Si les migrants sub-sahariens arrivent à obtenir un titre séjour provisoire de 3 mois, l’obtention d’un titre définitif peut prendre plus de trois mois, les mettant dans une situation irrégulière soumise à des pénalités financières importantes. « Les frais de pénalités pour dépassement de durée de séjour s’élèvent à 20DT par semaine et donc 80DT par mois. Mais cette loi n’a pas pris en compte les délais d’obtention de la carte de séjour qui prennent parfois plusieurs mois. De plus, les pénalités sont cumulées et payables à la sortie du territoire. Ainsi plusieurs de nos compatriotes d’Afrique sub-saharienne, ne peuvent plus repartir dans leur pays d’origine, même pour des vacances, car ils n’ont pas les moyens de payer ces pénalités », indique Ange Seri-Soka. Il ajoute dans ce contexte que certains sont mourants dans les hôpitaux et ne peuvent pas repartir chez eux, car ils n’ont pas les moyens de payer.

Racisme et violences policières

« Dans l’ensemble, la Tunisie n’est pas un pays raciste », indique le président de l’Union des Ivoiriens. La communauté sub-saharienne est, cependant, confrontée à des actes de racisme qui entache la réputation de la Tunisie considérée par ces migrants comme étant une terre d’accueil, a-t-il souligné.

« Les problèmes de racisme ou d’abus de pouvoir, sont des choses qui se répètent quotidiennement, notamment envers les personnes qui ne sont pas en situation régulière. Il y a des postes de police qui demandent la carte de séjour avant même de savoir quel est l’objet de la plainte déposée par le migrant », souligne Ange Seri-Soka.

De nombreux Sub-Sahariens sont confrontés à des actes de violences : agressions, vols sans que les autorités ou la justice ne prennent en considération leurs plaintes.

Le responsable communautaire indique également qu’il existe des rafles arbitraires qui sont commises par la police. « La police tunisienne a souvent un comportement violent envers les migrants subsahariens lors des contrôles. Parfois ils sont soumis à des tests ADN, ils sont victimes de violences lors d’arrestations. Ils sont traumatisés. On les traite comme des terroristes. Ces contrôles peuvent être faits d’une autre manière. On peut par exemple les convoquer au poste de police afin de justifier leur présence légale sur le territoire, il n’y a pas besoin d’être agressifs. Aujourd’hui nous avons des compatriotes qui sont choqués et qui ont peur de sortir de chez eux. Nous sommes dans un pays de droit mais nous n’en avons aucun », relate-t-il.

« Depuis quatre ans, les actes de racisme sont désormais punis par la loi. En effet, en octobre 2018, le Parlement tunisien a voté une loi criminalisant les propos racistes, l’incitation à la haine et les discriminations. Ainsi, l’incitation à la haine, les menaces racistes, la diffusion et l’apologie du racisme ainsi que la création ou la participation à une organisation soutenant de façon claire et répétitive les discriminations sont passibles d’un à trois ans de prison, et jusqu’à 3 000 dinars d’amende. Une théorie, rarement appliquée en pratique.

« Nous demandons à l’Etat Tunisien d’être sévère envers les personnes qui commettent des actes racistes. Lorsqu’un étranger est agressé il faut que la police prenne la plainte et que celle-ci soit suivie, or aujourd’hui ce n’est pas le cas », nous dit Mr Seri-Soka.

Dans ce sens, le responsable associatif, indique que la communauté sub-saharienne participe, comme tous les Tunisiens à l’économie du pays. En effet, le travail des « Africains », comme on les appelle ici, s’est normalisé. On retrouve ces travailleurs notamment dans les cafés, restaurants, sur les chantiers de BTP, chez les particuliers en tant qu’aide-ménagère, nounou ou encore jardinier. « Nous payons des impôts indirectement, à travers le paiement des loyers, des factures d’électricité, d’eau et nous consommons », rappelle-t-il.

Le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens de l’étranger, Othman Jarandi, a présidé le 6 avril dernier, la réunion des chefs des missions diplomatiques africaines, accréditées en Tunisie. L’occasion pour la vice- doyenne du corps diplomatique africain, Diakite Fatoumata N’DIAYE, d’évoquer au nom du groupe africain les problèmes et les difficultés auxquels font face la communauté.

Dans sa réponse, le ministre a affirmé la nécessité d’un contact continu avec le ministère et ses structures spécialisées, en vue de répondre aux préoccupations des Africains, et régler leurs problèmes urgents, en coordination avec les organismes compétents.

Wissal Ayadi