Analyse des taux de réussite au Baccalauréat 2024 en Tunisie : Entretien avec Ridha Zahrouni (ATUPE)

27-06-2024

La session du baccalauréat 2024 en Tunisie a révélé un taux de réussite de 42 %, un chiffre qui, lorsqu’on le compare à l’effectif des candidats, peut sembler raisonnable. Cependant, une analyse plus approfondie montre une réalité plus préoccupante. Ridha Zahrouni, président de l’Association Tunisienne des Parents et des Élèves (ATUPE), nous éclaire sur les nombreux défis auxquels le système éducatif tunisien est confronté.

« Quand on regarde le taux de 42 %, c’est un taux ramené à l’effectif des candidats. Or, lorsque l’on ramène cela à la classe d’âge, l’enquête réalisée par l’INS montre que ceux qui rentrent la même année à l’école, seuls 36 % arrivent à passer l’examen du baccalauréat », explique Zahrouni. En effet, seulement 20 % d’une même classe d’âge réussissent cet examen, comparé à des systèmes de moyennes performances comme en France, où le taux de réussite est de 90 %.

Ce chiffre révèle un échec retentissant du système éducatif tunisien. « Si aujourd’hui on peut faire valoir une sorte d’exploit au niveau du pourcentage de réussite, en réalité il est désastreux. Cela est aussi confirmé par le nombre de décrocheurs scolaires qui dépasse les 100 000, soit presque la moitié de cette classe d’âge », ajoute-t-il. Ce taux élevé de décrochage scolaire et les faibles performances aux examens montrent l’ampleur de la crise.

Les racines de ce problème sont multiples. Zahrouni souligne notamment la mise en place du passage automatique, interdisant implicitement le redoublement en primaire et dans le secondaire. « On se retrouve aujourd’hui avec des candidats au baccalauréat qui n’ont pas le niveau requis », dit-il. Cette mesure, bien qu’intentionnée pour éviter le découragement chez les élèves, a conduit à un affaiblissement global du niveau scolaire.

Un autre problème important est la fraude aux examens, devenue un volet quasi intégré du système éducatif. « Les 800 cas observés ne sont pas un record, mais on peut considérer qu’il s’agit d’une pratique presque ‘normale’. Nous devons combattre la fraude mais aussi comprendre les raisons qui poussent les élèves à y recourir », insiste Zahrouni. Ces élèves, conscients de leur manque de préparation, se tournent vers la fraude comme dernier recours.

Le contexte socio-économique des régions joue également un rôle déterminant dans les taux de réussite. « La carte du taux de réussite en Tunisie confirme la corrélation entre la situation économique, sociale et culturelle des régions et la réussite. Les régions côtières enregistrent les taux de réussite les plus élevés, avec Sfax en tête, tandis que les gouvernorats frontaliers, comme Gafsa avec 28 %, se trouvent en queue de peloton », explique-t-il. Cette disparité régionale exacerbe les inégalités et montre que l’éducation n’est pas équitablement distribuée dans le pays.

Un autre constat préoccupant est la désaffection pour la section des mathématiques. « Aujourd’hui, cette section est la moins attrayante pour les candidats au bac, avec seulement 6,55 % des candidats la choisissant. Pourtant, paradoxalement, c’est la section où le taux de réussite est le plus élevé. » Cette désaffection s’explique en partie par la maîtrise insuffisante de la langue française, langue utilisée dans les matières scientifiques, ce qui rend ces disciplines moins accessibles pour les lycéens.

Cette situation soulève des questions sur l’avenir du système éducatif tunisien. « Le modèle éducatif tunisien agonise et ne survit que grâce à l’effort consenti par les familles dans les cours particuliers. Sans cela, les taux de réussite au baccalauréat seraient encore plus catastrophiques », affirme Zahrouni. La carte de la réussite montre que seuls ceux qui ont les moyens financiers et un capital culturel peuvent réussir, rendant l’école tunisienne ni de qualité, ni gratuite, ni un ascenseur social.

Zahrouni pointe également les mauvaises décisions passées comme les concours de la 6ème et de la 9ème, rendus facultatifs, qui permettaient autrefois de garantir la qualité. « Les taux de décrochage scolaire et les résultats au baccalauréat peu glorieux montrent que la phase des années de primaire ne permet pas aux élèves d’atteindre le niveau requis en terminale », dit-il. Il insiste sur l’importance d’investir dans le primaire, car c’est le socle de la vie scolaire des élèves.

Pour remédier à ces problèmes, Zahrouni propose plusieurs pistes : allègement des programmes, étalement de l’année scolaire, concentration sur les compétences de base (lecture, écriture, calcul, compréhension, et langues) dès les premières années, et uniformisation de la langue d’enseignement des matières scientifiques entre le primaire et le secondaire. « Il n’est pas concevable d’enseigner les mathématiques, les sciences et la physique en arabe pendant le primaire puis en français dans le secondaire », insiste-t-il.

Enfin, il appelle à impliquer davantage les parents et l’État dans les établissements scolaires pour traiter des problèmes quotidiens comme la violence et l’absentéisme. « Il faut mettre en place au plus vite le conseil supérieur de l’éducation. Cette institution permettra de mettre en œuvre les réformes de l’enseignement et de la formation professionnelle, réfléchir sur de nouvelles filières, et s’adapter aux demandes du marché du travail et aux nouveaux métiers. »

En conclusion, Ridha Zahrouni brosse un tableau alarmant mais réaliste de l’état actuel de l’éducation en Tunisie. Les taux de réussite au baccalauréat, bien qu’en apparence satisfaisants, cachent des problèmes structurels profonds. Des réformes courageuses et une implication accrue de toutes les parties prenantes sont nécessaires pour redresser la situation et offrir à chaque élève tunisien les chances de réussir et de s’épanouir.

Wissal Ayadi