Tunisie : L’éco-construction fait ses premiers pas, l’architecte, Lotfi Rejab, nous en dit plus

16-08-2022

A l’heure du changement climatique et de la baisse inexorable des ressources naturelles en gaz et en pétrole, de nombreux pays développés, ont pris le pas de l’éco-construction et ce depuis de nombreuses années.

Cette notion se définit comme étant la création, la restauration, la rénovation ou la réhabilitation d’un bâtiment en lui permettant de respecter au mieux l’écologie à chaque étape de la construction, et plus tard, de son utilisation (chauffage, consommation d’énergie, rejet des divers flux : eau, déchets).

Une éco-construction bien réalisée tendrait à stocker ses surplus d’énergie produits pendant les périodes creuse afin de pouvoir les utiliser lors des pics de consommation.

En Tunisie, ce secteur en est encore à ses balbutiements. Pour en savoir plus, nous nous sommes adressés à Mr Lotfi Rejab, premier architecte en Tunisie spécialiste en éco-construction depuis plus de 20 ans. Selon lui, il s’agit d’une voie inévitable et un enjeu de santé publique.

Lotfi Rejab / Architecte spécialiste en éco-construction

Repenser la ville avant de construire

L’éco-construction est avant tout une philosophie de vie. D’après Lotfi Rejab, la première erreur est de réduire l’éco-construction à de simples matériaux ou qualité de murs ou à ce qu’on appelle la transition énergétique. « L’échelle humaine est en réalité la chose la plus importante. En Tunisie la notion d’éco-citoyenneté est complètement absente. Aujourd’hui l’éco-construction en Tunisie est plus phénomène de mode dans le sens péjoratif du terme. C’est comme si on vous donnait la voiture la plus puissante au monde alors que vous n’avez pas de permis », explique-t-il.

Il souligne que dans l’ordre des choses, l’éco-urbanisme doit précéder l’éco-construction. C’est-à-dire qu’avant de construire des bâtiment économes en énergie, il faut d’abord avoir un terrain favorable. « Le contexte d’aujourd’hui est boulimique en énergie donc cela ne peut pas fonctionner. L’énergie la plus importante est celle que l’on ne consomme pas. Ici il ne s’agit plus de performances technologiques pour mieux exploiter les énergies mais d’un comportement civique qui permet d’économiser l’énergie en amont de son exploitation. Pour cela il faut une planification des villes, des villages, des quartiers avant d’arriver à la construction en elle-même », nous dit-il.

Nos habitats sont huit fois plus pollués que dehors

D’après l’expert, ce qui a été énoncé ci-dessus n’est que la partie visible censée être régie par le schéma directeur et l’aménagement urbain qui doivent être impulsés par l’Etat.

Il y a également la partie non-visible qui concerne cette fois-ci la géobioénergie, la détection des réseaux telluriques et du gaz radon qui est un gaz radioactif naturel que l’on peut retrouver dans les environnements clos comme les habitations, les écoles ou les lieux de travail. Ces derniers touchent directement à la santé des gens. Ces éléments constituent la première étape à un projet d’éco-construction.

D’après l’organisation mondiale de la Santé, l’endroit le plus pollué est notre propre habitation. Le taux de pollution est en moyenne 8 fois plus élevé chez nous que dehors. La pollution est due notamment aux revêtements de surface comme la résine utilisée pour lustrer le marbre et autres par-terres, les peintures brillantes qui sont très chimiques, ceci ajouté aux produits ménagers qui sont une vraie catastrophe pour la santé.

« Il faut complètement revoir la culture de la construction en Tunisie et éduquer la population  à mieux vivre dans leur habitation afin d’augmenter leur efficacité énergétique mais pour cela il faut des outils de compréhension. Quand on achète un téléphone, un appareil électroménager ou même une voiture, on dispose toujours d’une notice… Mais quand on achète une maison ou un appartement, nous n’avons rien et pourtant c’est la machine à vivre la plus importante ». Selon Lotfi Rejab, cette notice explicative pourrait nous aider à savoir quand est ce qu’il faut ouvrir ou fermer les volets ou les fenêtres ou choisir les tissus utilisés pour l’ameublement qui sont également des polluants quand ils sont traités  (éco-aménagement).

Dans l’éco-construction il y a également la gestion de l’eau. « Il est encore inconcevable que l’on fonctionne avec des chasse d’eau de 9 ou 3 litres (chasse d’eau économiques), il n’est pas normal que l’on continue de proposer des piscines qui font plus de deux mètres de profondeur. C’est ce genre d’aberration qui font qu’aujourd’hui la Tunisie est en situation de stress hydrique et qu’il y a souvent des coupures d’eau », poursuit l’architecte.

« Nous avons également beaucoup de gâchis dans l’utilisation de la lumière. Nous avons facilement 70% de perte énergétique dans notre quotidien », poursuit-il.

Pour notre expert, pour le gaz, il vaut mieux éviter les gazinières en aluminium et privilégier la fonte. « Un plat qui cuit en 10mn peut être prêt en 6 minutes car la fonte augmente l’efficacité de la chaleur. Sur une année, on peut économiser 40% d’énergie en gaz ».

Les trois principes de l’éco-construction

Lotfi Rejab conçoit des maisons éco-construites depuis plus de vingt ans. Fort de son expérience, il a mis en place trois principes pour concevoir l’éco-construction en Tunisie.

Le premier volet concerne la ventilation permanente et contrôlée qui permet d’extraire un minimum de polluants des habitations. A cet égard, il est possible d’utiliser la thermodynamique pour réchauffer ou rafraîchir sans mécanisation et sans exploitation énergétique. « La climatisation est une vraie source de pollution à la fois pour l’organisme et l’environnement car gourmand en énergie », affirme-t-il.

Dans ce sens, il faut savoir que la Tunisie dispose d’un climat favorable à ce qu’on appelle le confort thermique. Lotfi Rejab rappelle que dix mois sur douze, les températures minimales sont comprises entre 17 et 23 degrés. « Si on sait comment exploiter ce climat on peut créer un système pour se chauffer et se rafraîchir sans chauffage ni climatiseur en utilisant de manière intelligente et rationnelle l’exposition des constructions et leurs formes en fonction de l’orientation du soleil.

Le deuxième chapitre tourne autour de l’utilisation de matériaux qui ont subi un minimum de transformations industrielles, chimiques ou mécaniques. « Nous avons la chance en Tunisie d’avoir des richesses naturelles comme l’argile et certaines terres qui permettent de fabriquer des briques 100% écologiques et qui ne sont pas nocives pour l’organisme. La brique rouge est une véritable catastrophe environnementale et c’est ce qui nous a fait perdre les bons réflexes et les traditions utilisés jadis en matière d’éco-construction. Les premiers éco-quartiers qui ont vu le jour en Tunisie se trouvent dans nos médinas », a-t-il rappelé.

Enfin la troisième manière de construire éco, passe par la bio-épuration. Il s’agit d’assainir l’air qui provient de l’extérieur grâce à la végétation. Pour cela il est possible d’utiliser notre jardin ou des pots de fleurs sur les balcons du côté où l’air arrive, car les plantes ont la capacité de créer de la vapeur d’eau et ainsi d’équilibrer le taux d’humidité dans l’air. D’où l’importance de faire appel aux paysagistes dans un projet d’éco-construction.

Si ces trois volets paraissent simples, il n’en reste pas moins leur coût. Est-il aujourd’hui plus couteux de construire une maison écologique? D’après Lotfi Rejab, les économies se font sentir à moyen et à long terme. « Si on retire déjà la mécanisation relative au chauffage et à la climatisation, nous faisons déjà des économies dans la construction et les factures. Si à la base on décide d’utiliser le photovoltaïque pour chauffer l’eau, on peut non seulement économiser sur la facture d’électricité mais aussi gagner de l’argent ce qui permet d’emprunter moins à la banque », conclut-il.

Wissal Ayadi