Tunisie : Le retour à l’école, applaudi par les uns, décrié par les autres !

Après six mois de vacances forcées, il est temps pour les élèves de reprendre le chemin de l’école dès ce mardi 15 septembre. Une rentrée pas comme les autres puisqu’elle se déroule dans un contexte sanitaire difficile en Tunisie, le nombre de cas de contamination ne cessant d’augmenter. Certains parents se sont même opposés à la reprise des cours estimant que la ministère de l’éducation n’avait pas pris les mesures nécessaires. Nous avons interrogé, parents, professeurs ou encore militants d’associations de parents d’élèves. Quelles sont leurs craintes et leurs appréhensions ? La Tunisie est-elle prête pour la rentrée des classes ?
Ce mardi 15 septembre c’est le grand jour pour les 2,2 millions d’élèves que compte la Tunisie. Pour cette année scolaire 2020/2021, des changements ont été opérés afin de limiter au maximum la propagation du virus dans les écoles. Ainsi, la rentrée des classes se fera par étapes sur 4 jours selon les niveaux. Autre changement celui de la capacité maximale d’élèves par classe. Celle-ci sera réduite à 18 enfants par groupe. Les cours se feront donc un jour sur deux en fonction de l’évolution de la situation épidémiologique.
Des parents qui hésitent encore
Certains parents sont réticents à remettre leurs enfants à l’école du fait d’un contexte sanitaire incertain. C’est le cas de Cyrine. Elle est maman d’une fille de 8 ans scolarisée dans une école primaire de Hammamet. A la veille de la rentrée des classes, elle n’a pas encore pris sa décision. « J’hésite encore car la situation épidémiologique est de plus en plus difficile. J’ai pourtant acheté toutes les fournitures », explique-t-elle.
De plus, la jeune maman a peur car elle cohabite avec sa maman qui souffre de problèmes de santé et elle craint qu’elle soit contaminée. « Au cas où ma fille devait retourner à l’école, je lui ai demandé de ne pas boire d’eau de la journée pour éviter d’aller aux toilettes », avoue-t-elle. Elle ajoute par ailleurs qu’elle n’a pas confiance dans le niveau d’hygiène des autres parents.
Des professeurs qui doivent assurer la désinfection de leur classe
Pourtant, le ministère de l’éducation s’est engagé à fournir tout le matériel nécessaire aux écoles pour respecter les mesures d’hygiène. Lors d’une conférence de presse tenue il y a quelques jours, le ministère de l’Education a prévu la mise à disposition de 160.000 masques à usage unique, 80.000 masques lavables, 3.300 litres de gel et 4.000 thermomètres, en plus de fournir un stock de réserve de masques et de gel pour répondre aux besoins des élèves issus de familles nécessiteuses. Selon le département, ces mesures ont été minutieusement étudiées et entrent dans le cadre de toute une stratégie visant à minimiser tout risque de propagation du virus dans les établissements scolaires. Mais sur le terrain, la réalité semble tout autre…
Nous avons contacté Aïda. Elle est enseignante dans une école primaire située dans le quartier de d’El Menzah 6 à Tunis. Ce lundi matin, elle a été conviée à une réunion de préparation pour la rentrée. Elle a été surprise de découvrir les conditions dans lesquelles, elle et ses collègues allaient faire leur rentrée. « Le directeur de l’école nous a annoncé que la désinfection des salles de classe devait se faire à nos propres frais. Il nous a expliqué qu’il ne disposait pas de budget pour acheter les produits nécessaires», nous dit-elle avec un soupir de désespoir. La jeune femme a du donc se rendre dans un supermarché pour acheter produits désinfectant, éponges, lingettes, gel, et autre visière. « Cela m’a coûté 100 dinars », souligne-t-elle.
Le ministère de l’Education appelle la société civile à l’aide
Tout le monde connait la situation des infrastructures scolaires en Tunisie. Des WC dégradées, sales et parfois sans portes, des lavabos cassés, des salles de classes qui ne sont pas nettoyées… de quoi alimenter la peur.
Une situation dont ne s’est pas caché le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, fraîchement investi qui s’est rendu ce dimanche dans trois écoles situées en banlieue sud de Tunis. Dans une déclaration aux médias, le locataire de la Kasbah a dit que ses visites lui ont permis « de constater de nombreuses défaillances qui ne sont pas dignes de la Tunisie de 2020″, estimant qu’« il est inacceptable que l’élève ne trouve pas à l’école les besoins les plus élémentaires, comme l’eau et les sanitaires ».
“Le budget n’est pas suffisant pour effectuer toutes les réparations dans les établissements éducatifs”, a affirmé le ministre de l’éducation, Fethi Salaouati lors de son intervention, ce matin, sur les ondes de Shems FM. Néanmoins, il a indiqué que des petites réparations sont faisables.
Il a ajouté, sur la même radio, que “le ministère compte sur le rôle de la société civile, et des autorités régionales, pour intervenir et faire les réparations nécessaires.”
C’est donc un appel presque de désespoir qu’à lancé le ministre aux parents d’élève. Hassen Chouk est le coordinateur national du collectif des « parents mécontents ». Lui aussi déplore cette situation mais explique qu’elle n’est pas nouvelle. « Nous voulons soutenir les efforts de l’Etat mais il faut qu’on nous en donne les moyens en nous permettant de nous réunir en association » nous dit-il.
En effet, M. Chouk milite pour la mise en place obligatoire d’une association de parents d’élèves dans chaque établissement scolaire. Il explique que cette démarche a été systématiquement refusée à cause, selon lui, du lobby syndical de l’enseignement. « Aujourd’hui il y a 2 millions d’enfants scolarisés et donc 4 millions de parents d’élèves. Nous pouvons donc devenir un contrepoids important », ajoute-t-il.
En attendant, afin de faire contribuer la société civile à l’entretien des écoles, Chouk propose la mise en place d’une cotisation mensuelle à hauteur de 3dt par élève. « Sur une école de 400 élèves, cela représente environ 10.000dt par an ». De quoi réparer un minimum de choses. Autre proposition, celle du parrainage obligatoire des entreprises publiques comme privées d’un établissement scolaire en contrepartie d’incitations fiscales.
Conséquences d’une déscolarisation trop longue
Voilà six mois que les enfants n’ont pas retrouvé les bancs de l’école. Pour certains, et notamment pour les parents qui travaillent, il est temps qu’ils se remettent au travail. C’est également l’avis de la société tunisienne de pédiatrie (STP). Dans un communiqué rendu public il y a quelques jours l’institution a recommandé, le retour normal et sans interruption à l’école de tous les enfants, tout en appelant au respect des « gestes barrières ».
Elle justifie, entre autre, cette position en affirmant d’abord que l’enfant joue un rôle faible dans la transmission de l’infection que ce soit de l’enfant à l’enfant ou de l’enfant à l’adulte. Elle ajoute également que même lorsqu’il il est infecté, il est le plus souvent asymptomatique et les formes hospitalisées sont rares.
La STP a aussi signalé, qu’à la date du 1er septembre en Tunisie, seuls 248 enfants ont été testés positifs au coronavirus et qu’ils étaient tous asymptomatiques et qu’aucun d’entre eux n’a été hospitalisé.
La Société Tunisienne de Pédiatrie a enfin rappelé les multiples dangers qui peuvent découler de la déscolarisation prolongée des enfants notamment: augmentation des accidents domestiques, l’agressivité, la délinquance et la perte des apprentissages, lit-on dans le même communiqué.
Wissal Ayadi