La Tunisie renonce à ses semences locales, de 65 % dans les années 70, à 5 % aujourd’hui !
Semences hybrides ou traditionnelles ? Cette question est au centre d’un grand débat au sein du secteur agricole. Le secteur des semences est stratégique pour la Tunisie dans la mesure où il garantit la sécurité alimentaire.
Si dans les années 70, les semences tunisiennes représentaient environ 65% de l’ensemble des semences, aujourd’hui elles ne sont plus que de l’ordre de 5%, laissant la place aux semences dites hybrides importées au meilleur rendement mais de moins bonne qualité. Céréales ou cultures maraîchères, ces dernières ont inondé le marché.
Plus de rendement…mais moins de qualité
Les semences tunisiennes ne représentent actuellement que 5% de l’ensemble des semences contre 25% en 2004 et 65% en 1975.
En effet, les semences locales se font de plus en plus rares dans nos champs. Pourtant, scientifiquement parlant, elles garantiraient de meilleures qualités nutritionnelles et donc une meilleure farine et, par conséquent, un meilleur pain…
Ainsi, les semences hybrides importées ont inondé le marché tunisien. Pour en expliquer les raisons, nous nous sommes adressés à M. Imed Ouadhour, agriculteur céréalier et membre du syndicat des agriculteurs tunisiens de la région de Bizerte, SYNAGRI.
Selon lui, cette situation est due au fait que la Tunisie est entrée dans un système de production intensif afin de combler les besoins croissants des Tunisiens. « Avec l’augmentation des coûts de production, notamment le carburant et les médicaments, les agriculteurs ont cherché à avoir un meilleur rendement pour plus de rentabilité », dit-il.
A cet égard, il explique que les semences locales s’adaptent aux changements climatiques et sont plus résistantes contre les maladies. Mais le problème c’est qu’elles n’ont pas un rendement important. Une information qui nous a été confirmée par Mr Romdhane Nasraoui, spécialiste des semences à l’Institut national des grandes cultures (INGC). « Les anciennes variétés peuvent au maximum fournir 30 ou 40 quintaux par hectare, alors que les variétés hybrides, elles, peuvent fournir entre 80 et 90 quintaux soit le double, voire plus », affirme-t-il.
Un frein pour la recherche scientifique
Pour Imed Ouadhour, l’importation et l’utilisation de semences hybrides comporte un certains nombre d’inconvénients. D’abord, il souligne que ces semences sont assujetties à des maladies spécifiques dont les traitements ne peuvent être importés que depuis l’étranger au profit des lobbys qui agissent dans le secteur des semences et des pesticides. « Il y a des maladies qui sont apparues en Europe et qui plusieurs années plus tard sont arrivées en Tunisie. Elle sont donc apparues avec l’importation des semences. Ils nous envoie leurs maladies pour nous vendre leurs pesticides », fustige-t-il.
De plus, le céréalier indique que l’importation de céréales nuit au développement de la recherche scientifique en Tunisie. Sur cette question, il explique que si la Tunisie continue a importer des nouvelles variétés de semences afin d’améliorer les rendements, alors les recherches sur des variétés locales n’ont plus lieu d’être ». Pourtant le secteur agricole tunisien dispose de plusieurs institutions scientifiques (INRAT, INAT, IRESA) qui pourraient travailler à la recherche de variétés typiquement locales.
Subventions
L’autre coup dur pour la semence locale à eu lieu en août 2020. En effet, à cette époque, le ministre de l’Agriculture, Ousama Kheriji, a signé un décret permettant l’extension de la subvention de la multiplication de semences céréalières aux variétés importées.
Traditionnellement réservée à deux organismes publics d’agriculteurs (COSEM, CCSP) pour la production et la multiplication de semences locales destinées aux grandes cultures, cette subvention a pour objectif de soutenir le développement et l’utilisation de semences autochtones.
Selon Imed Ouadhour, cette décision, prise sur fonds de « pressions lobbyistes » ne fait qu’affaiblir la filière locale au profit de nouveaux opérateurs du secteur privé qui exercent dans le domaine de la multiplication et la commercialisation de semences de céréales importées, concurrentes des coopératives d’agriculteurs citées ci-dessus.
« Nous voulons que l’Etat arrête de subventionner les semences importées afin d’encourager les semences locales. Si les semences importées deviennent chers, les agriculteurs iront vers les semences tunisiennes », conclut Ouadhour.
Utiliser les semences tunisiennes autrement
En Tunisie, de génération en génération, la coutume a longtemps vu les paysans stocker une petite part de leurs récoltes obtenues à partir d’espèces « autochtones » pour ensemencer les champs l’année suivante.
Mais avec le recours croissant aux semences hybrides ou génétiquement modifiées, ces plants sont presque tombés dans l’oubli.
« Avec le développement démographique de la Tunisie, nous ne pouvons pas assurer nos besoins avec les semences traditionnelles ». C’est le constat fait par Romdhane Nasraoui, spécialiste en semences au sein de l’Institut national des grandes cultures.
Pour autant, Nasraoui n’est pas pour la disparition totale de ces semences. « Il y a des semences anciennes qui sont stockées au sein de la banque nationale des gènes. Nous pouvons les utiliser dans la recherche scientifique, en faisant des croisements avec d’autres variétés ayant une meilleure rentabilité pour avoir des espèces qui sont à la fois rentables et de bonne consistance nutritionnelle. Nous pouvons aussi les utiliser dans l’agriculture biologique dans des endroits où les objectifs de rendements sont moindre et où le climat favorable permet de ne pas utiliser de traitements chimiques pour contrer les maladies. C’est la cas notamment à Siliana ou dans le sud du Kef », nous dit-il.
Wissal Ayadi
Les jeunes chercheurs tunisiens ont tiré la sonnette d’alarme sur les dangers d’importer des semences et plants fruitiers en dehors d’une stratégie claire qui préserve le patrimoine agricole sélectionné depuis des centaines d’années… sans succès… Des projects de collaboration douteux ont été accordés par le ministère qui ont eu pour principal but de dévaliser les patrimoine génétique local au nom de la collaboration….
Merci Wissal d’aborder le sujet si important de l’expansion de l’utilisation de semences importées au détriment des semences locales et de sonner à nouveau la sonnette d’alarme.