Tunisie : L’emploi précaire polarise beaucoup plus de femmes que d’hommes

L’association tunisienne des femmes démocrates a présenté samedi 23 février à Tunis, les résultats de son étude sur « les programmes nationaux d’emploi et d’intégration professionnelle », sous l’intitulé « Une meilleure intégration professionnelle et sociale des femmes et des jeunes » avec le soutien du programme « Soyons actifs ».
L’étude s’est penchée sur l’état de l’intégration des femmes dans le marché de travail, les indicateurs de discrimination, et l’évaluation de l’efficacité des programmes nationaux d’insertion professionnelle pour les femmes.
Les femmes, le chômage et le marché du travail
Les personnes actives s’élèvent à 3 294 600, selon le dernier recensement de la population et de l’habitat de 2014.
La population active en Tunisie s’établit à 4152.5 mille au quatrième trimestre de 2018 contre 4145.5 mille au troisième trimestre de 2018, soit une augmentation d’environ 7 mille. Les actifs se répartissent en 2952.9 mille hommes et 1199,6 mille femmes, ce qui représente respectivement 71.1% et 28.9% de la population active.
Le taux de chômage s’est stabilisé à 15.5% au terme du 4ème trimestre 2018. L’effectif des chômeurs s’établit à 644.9 mille du total de la population active. Le taux de chômage est de 12.5% chez les hommes et 22.9% chez les femmes, selon la dernière enquête sur l’emploi de l’INS.
Les femmes toujours discriminées
Concernant l’obtention des différents types de contrat de travail, les femmes sont en avance par rapport aux hommes : 39364 femmes ont bénéficié des contrats SIVP (stage d’insertion dans la vie professionnelle) contre 19435 hommes en 2017. Dans la même année, 88 femmes ont bénéficié des contrats CIDES (contrat d’insertion des diplômés de l’enseignement supérieur), contre 16 hommes seulement dans cette catégorie.
Concernant les CAIP (contrat d’adaptation et d’insertion professionnelle), 26834 femmes en ont obtenu, contre 13 047 hommes uniquement.
Les statistiques ont montré que 131 femmes travaillent avec un contrat de type CRVA (contrat d’insertion dans la vie active) contre 30 hommes dans la même catégorie. Pour le SVA (service civile volontaire), il existe 18 590 femmes qui bénéficient de ce contrat, contre 4266 hommes.
Les femmes ont ainsi obtenu beaucoup plus de contrats que les hommes en 2017. Chose qui s’explique par leur acceptation des conditions précaires des SIVP, CIDES, CAIP, CRVA, SVA… présentant tous un salaire maximal variant entre 150 et 200 dinars pour 12 mois de travail non renouvelables dans certains cas.
La baisse de chômage chez les femmes, est expliquée par leur acceptation de très faibles salaires dans l’espoir de devenir un jour titulaires et gagner en stabilité professionnelle, contrairement aux hommes qui refusent de travailler avec une rémunération inférieure à 350 dinars par mois.
Les concessions faites par les femmes pour travailler sont liées toujours à la discrimination : la plupart des familles donnent de l’argent de poche aux hommes chômeurs, et ne donnent rien aux filles au chômage. Outre le fait que certaines femmes préfèrent rester sans travail par choix, en attendant qu’elles se marient.
Par ailleurs, 52% des personnes questionnées travaillent dans des domaines qui n’ont rien à voir avec leurs compétences et leur formation initiale, selon Fathia Saidi, enseignante universitaire et sociologue.
La fragilité économique des femmes
La fragilité économique des femmes n’est pas un problème nouveau, mais est devenu, désormais, plus visible dans notre société, où la marginalisation et la pauvreté se sont exacerbées.
Selon Fathia Saidi, ces chiffres traduisent des cas de précarité profonde chez les femmes et les hommes, se manifestant à travers de multiples phénomènes tels que la mendicité, les sans-abris, la toxicomanie et d’autres phénomènes sociaux.
La discrimination dans l’emploi et sur le marché du travail en général, est le produit d’une mentalité communautaire bien établie qui confine davantage la femme dans l’espace privé qu’à l’espace public. L’enracinement du droit au travail des femmes reste faible et constitue un facteur de discrimination (mentalités sociales en contradiction avec les droits économiques et sociaux).
L’étude a montré que, la plupart des insertions professionnelles au cours des cinq dernières années proviennent du secteur public. Les données indiquent aussi que 51.7% des personnes actives travaillent dans le secteur des services, ce qui représente la plus grande part du nombre total des employés, au cours du premier trimestre de 2015. Ce secteur a permis la création de 159 000 emplois supplémentaires en 2011-2015.
Il y a eu aussi la création de près de 78 000 nouveaux emplois et 69 000 postes dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des services administratifs.
Il n’en demeure pas moins, que le chômage de longue durée reste persistant, le taux de chômage est encore élevé pour les titulaires de diplômes supérieurs et particulièrement chez les femmes.
Il est à noter aussi que le taux de chômage varie selon la région, et est élevé dans les régions intérieures, malgré les incitations communes, les programmes privés et les activités sur le terrain, visant à stimuler l’emploi et à réduire le chômage.
La fragilité économique des femmes est extrêmement complexe, elle provient de plusieurs sources et comporte plusieurs facettes.
La marginalisation est un incubateur du concept de pauvreté, de stigmatisation et d’exclusion, ce qui est largement lié au chômage et au manque de stabilité d’un emploi, a-t-elle ajouté. Fathia Saïdi a aussi expliqué que la fragilité économique affaiblit tous les liens familiaux et communautaires ce qui crée par conséquent la vulnérabilité psychologique et morale. Cette fragilité relationnelle engendre les insécurités, l’instabilité et le manque de confiance en l’avenir.
Emna Bhira