Tunisie/ Prestation de serment : Les nouveaux ministres dans l’attente, Kaïs saïed créera-t-il un précédent fâcheux ?

28-01-2021

Si l’affaire de la lettre suspecte arrivée, hier soir, au palais de Carthage a jeté son ombre sur l’actualité politique, et en attendant que l’enquête et l’expertise, ordonnées par la justice, livrent leur secret sur cette affaire, dont le timing interpelle ; les regards sont tout aussi tournés vers le palais, pour savoir si le président de la république compte ou non organiser la cérémonie de prestation de serment des nouveaux ministres, dont la nomination a été validée la nuit de mardi 26 janvier par l’Assemblée.

Les juristes se sont exprimés dès hier sur différents médias pour expliquer, en majorité, que la prestation de serment ne relève pas du pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat, mais il s’agit d’ « une compétence liée », dont il est dans l’obligation d’accomplir, en guise de parachèvement des formalités.

L’article 89 de la Constitution devant s’appliquer à la formation d’un nouveau gouvernement, comme à un remaniement, est clair et sans équivoque là-dessus :

«Dans le cas où le gouvernement obtient la confiance de l’Assemblée, le Président de la République nomme le Chef et les membres du gouvernement. Le chef et les membres du gouvernement prêtent serment devant le Président de la République ».

Selon les usages, la prestation de serment des nouveaux ministres intervient le lendemain du vote de confiance. Dans le cas d’espèce, c’est hier après-midi que les onze nouveaux membres de l’équipe gouvernementale auraient dû défiler un à un devant le président de la république, la main sur le Saint-Coran pour jurer par « Dieu Tout-puissant de travailler fidèlement pour le bien de la Tunisie, de respecter sa Constitution et sa législation, de veiller scrupuleusement sur ses intérêts et de lui devoir allégeance Â».

Cette étape constitutionnellement nécessaire, mais non bloquante, pour l’officialisation de la désignation des nouveaux ministres, donnerait lieu, une fois achevée, à un autre rituel, celui de la passation des pouvoirs dans les différents ministères.

Tout cela devait intervenir hier, pour que les ministres soient à partir d’aujourd’hui, jeudi 28 janvier, en poste. Mais, ce ne fût pas le cas, le remaniement n’est pas encore traduit dans les faits, et le destin des nouveaux ministres reste suspendu à la décision de Carthage.

Situation inédite 

Kaïs Saïed avait critiqué, avec virulence, lundi 25 janvier, lors du Conseil de sécurité nationale, le remaniement opéré par le chef du gouvernement.

Le chef de l’Etat avait pointé certains noms proposés à différents portefeuilles ministériels pour être l’objet « d’affaires de corruption ou de conflit d’intérêts ». De telles personnes « ne peuvent prêter serment Â», a-t-il prévenu, qualifiant une telle formalité de « fondamentale », et non « formelle ».

Le président de la république dont l’autorité politique et morale, en tant qu’incarnation de l’Etat, et symbole de son unité ; et le devoir d’exemplarité, lui confèrent toute latitude d’exprimer sa position, et de mettre le doigt sur les éventuels dépassements et failles, se trouve, dans le cas d’espèce, en contradiction avec l’esprit et le texte de la loi fondamentale.

Au-delà de cet aspect précis de la prestation de serment, la Tunisie est sous un régime politique mixte qui répartit les pouvoirs entre le président de la république, et le chef du gouvernement, et en fait les co-chefs de l’Exécutif.

Dans la pratique, les choses sont différentes ; l’élection du président de la république au suffrage universel, lui donne plus de légitimité, qu’un chef du gouvernement, dont le soutien politique, s’il n’est pas faible, est variable au gré de la conjoncture. Le fait que le locataire de la Kasbah ne soit pas issu de la majorité parlementaire, comme le prévoit la constitution, le fragilise d’emblée.

Les toutes dernières législatives, et celles qui les ont précédées n’ont pas dégagé une majorité nette, mais un paysage parlementaire effrité, et c’est là où il faudrait chercher l’origine du conflit entre les deux têtes de l’exécutif.

Cela a été le cas dans le rapport entre le défunt président, Béji Caïed Essebsi, et Youssef Chahed. C’est aussi le cas, entre Kaïs Saïed et Hichem Mechichi. Pourtant, dans ces deux situations, c’est le président qui désigne le chef du gouvernement en son âme et conscience, mais il suffit que le couple de l’exécutif se heurte aux épreuves de l’exercice effectif, que les étincelles de la discorde sont attisées. 

Reste que cette fois-ci, la Tunisie est face à une situation inédite, qui ne fera qu’accentuer l’instabilité, et le manque de visibilité, dans un contexte de crises multiformes : économique, sociale, et sanitaire, qui nécessitent que tous les efforts se conjuguent et toutes les institutions de l’Etat travaillent en symbiose, pour pouvoir sauver ce qui peut l’être, et pérenniser un Etat affaibli à plus d’un titre.

Même si ce problème est remédiable par la théorie dite de la formalité impossible, il revient à Kaïs Saïed, de ne pas créer ce précédent fâcheux. Il aura ainsi désamorcé une tension dont la Tunisie se passerait volontiers. A fortiori, que le président, juriste et constitutionnaliste, est le plus habilité à lire, et à interpréter le texte constitutionnel.

H.J.