Tunisie/ Déficit pluviométrique : L’état d’urgence dans le secteur de l’eau devra être décrété (Enquête)
Près d’un quart de la population mondiale est désormais confrontée à une grave pénurie d’eau au moins un mois par an, poussant bon nombre de personnes à chercher une vie plus sûre dans d’autres pays… Ils sont appelés des réfugiés climatiques.
La pénurie d’eau touche environ 40 % de la population mondiale et, selon les prévisions d’un récent rapport de la Banque mondiale, la sécheresse pourrait forcer jusqu’à 216 millions de personnes à quitter leur région d’ici 2050, faute d’eau disponible ou d’une production agricole suffisante.
Le rapport cite plusieurs exemples, dont celui de l’Afrique du Nord, où la question de la disponibilité en eau est le principal moteur de la migration interne.
Les températures extrêmes qui ont frappé la Tunisie au cours du mois d’août et la sécheresse persistante depuis plusieurs années, et que nous vivons cet automne avec une mois de septembre pratiquement sans pluies, sont une conséquence de ce manque d’eau… Ainsi, les zones les plus sèches du territoire se vident peu à peu de leurs habitants…
Contexte mondial
Au cours du 20e siècle, l’utilisation mondiale de l’eau a augmenté davantage que le taux d’augmentation de la population. Aujourd’hui, cette dissonance conduit de nombreuses villes à travers le monde à rationner l’eau. Ainsi, les crises liées à l’eau ont été classées dans le top cinq de la liste des risques mondiaux par impact du Forum économique mondial presque chaque année depuis 2012.
Sauf rares exceptions, personne ne meurt littéralement de soif mais plusieurs meurent parce que l’eau consommée est insalubre. A l’échelle mondiale, une personne meurt toutes les 10 secondes par le fléau de l’eau insalubre (8480 Personnes/Jour) et la faim tue 8000 enfants par jour. Â
La croissance démographique et le développement économique entraînent une augmentation de la demande en eau dans le monde, tandis que les changements climatiques diminuent l’approvisionnement en eau et rendent les précipitations de plus en plus irrégulières dans de nombreux endroits accentuant les périodes de sècheresse.
En 2017, de graves sécheresses ont contribué à la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale, lorsque 20 millions de personnes à travers l’Afrique et l’est du Moyen-Orient ont été forcés de quitter leur maison en raison des pénuries alimentaires et des conflits qui ont éclaté.
Des régions entières vidées de leurs habitants
L’eau se fait de plus en plus rare en Tunisie. Certains experts parlent même d’une situation alarmante qui pourrait mener au rationnement de l’eau. Pour preuve, dans certaines zones des plus sèches, les coupures d’eau sont devenues le quotidien des habitants. La situation est encore plus grave cette année, les barrages sont à leur niveau le plus bas, face à un déficit pluviométrique persistant, avec l’espoir que les précipitations soient au rendez-vous en ce mois d’octobre.
Pour en savoir plus sur la question du rapport entre l’eau et les flux migratoires, nous nous sommes adressés à Mme Raoudha Gafrej, Docteur Ingénieur, elle est experte en ressources en eau et en adaptation au changement climatique.
D’abord, elle explique que la disponibilité de l’eau est fédératrice; c’est à dire qu’elle draine les populations autour des points d’eau et constitue ainsi un facteur de développement.
Depuis plus de 20 ans, la demande en eau a dépassé l’offre si on intègre les besoins en eau des écosystèmes qui sont ignorés, mettant la Tunisie dans ce qu’on appelle une « situation de pénurie d’eau absolue  » avec une disponibilité en eau en 2020 de de 359 m3/hab./an . C’est à dire que les activités économiques consomment au-delà des ressources renouvelables et empiètent ainsi sur les besoins de la nature qui sans eau, ne peut plus fournir les services essentiels à sa disponibilité » explique Dr Raoudha Gafrej..
Depuis plusieurs années, la Tunisie est frappée par de longues périodes de sécheresse ayant contribué à la diminution des apports en eau. « En 10 ans, nous avons connu 5 saisons sèches; en 2016,2017,2018,2020 et 2021 », explique Mme Gafrej. Pour ces deux dernières années, les apports en eau ont atteint respectivement les 44% et 43% de la moyenne.
Ces phénomènes ont un impact encore plus important dans les régions intérieures et rurales du pays pour la simple raison que dans ces zones on a besoin de plus d’eau puisque ce sont des zones agricoles et où l’Etat a investi dans la création des périmètres publics irrigués. Selon le rapport de la Banque Mondiale, le manque d’eau pousse ainsi les populations des zones non côtières et de l’intérieur à partir, ralentissant la croissance démographique dans les points chauds d’émigration climatique, le long de la côte nord-est de la Tunisie.
En Tunisie, même les zones côtières connaissent des pénuries d’eau avec des coupures régulières, comme en témoignent la ville de Sfax ou encore les régions du Cap Bon et du Sahel qui sont alimentées en eau à partir des eaux du Nord.
« Malheureusement, aucune étude sur les flux migratoires internes à la Tunisie en relation avec la pénurie d’eau n’a été faite, mais il suffit de regarder le solde migratoire interne du pays pour comprendre », indique l’experte. Ainsi, dans le dernier recensement général de la population et de l’habitat datant de 2014, on remarque, par exemple, que la région avec le solde migratoire le plus positif (le taux le plus élevé d’arrivants) est le Grand Tunis (Tunis, Ariana, Ben Arous, Manouba). Dans l’autre sens, la région centre-ouest (Kairouan, Kasserine, Sidi Bouzid) représente le pôle le moins attractif du pays, suivi de près par la région du nord-ouest (Jendouba, Béja, El Kef, Siliana). Enfin, toujours d’après l’INS, pour 22 ,4% des migrants, la raison principale motivant leur mobilité est la recherche d’un emploi.
Pour les zones les moins attractives, la principale activité est bien sur l’agriculture. Un secteur qui serait inexistant sans la disponibilité de l’eau et sans la main d’œuvre qui se déplace vers la côte. « De plus en plus de générations d’agriculteurs quittent leurs régions vers les grandes villes et les villes côtières pour travailler dans d’autres secteurs comme le tourisme. Il faut retenir aussi que 80% de la main d’œuvre agricole est composée de femmes. Si on continue à ce rythme-là , dans 20 ans il n’y aura plus d’agriculteurs et plus d’agriculture telle que l’on connait aujourd’hui », déplore Raoudha Gafrej, ajoutant « qu’il faut de l’eau pour créer de l’emploi ».
Mauvaise gestion de l’eau
A cet égard, elle explique qu’aujourd’hui, le principal problème de l’eau en Tunisie découle d’une mauvaise gouvernance. « L’agriculture utilise 80% des ressources en eau et les agriculteurs n’hésitent pas à enfreindre la loi afin de pallier à la pénurie d’eau », affirme l’experte. En effet, les nappes souterraines de la Tunisie subissent depuis longtemps une surexploitation due à un pompage excessif de l’eau, souvent supérieur aux besoins des cultures existantes. Ici, ce sont les forages dits illicites qui sont en cause car ils entrainent un rabattement excessif du niveau des nappes, ce qui impacte directement les forages gérés par la SONEDE pour l’alimentation en eau potable.
« La Tunisie a peu de visibilité sur la consommation des ressources en eau. Le niveau de rabattement des nappes est le seul indicateur souvent estimé. L’estimation des forages illicites indique que plus de 60% des forages (30000 forages au total) sont illicites et que 8830 (soit 50%) sont situés dans le seul gouvernorat de Kébili. Il est dérisoire de prétendre à une planification optimale ou adéquate des ressources si l’on est incapable de les contrôler. D’où l’urgence de mettre fin à ces utilisations illicites qui aboutissent même à un marché de l’eau fort lucratif et appliquer fermement la règlementation exigeant l’installation de compteurs d’eau sur chaque point d’utilisation des eaux  », lance l’experte en eau.
Comment fixer les populations ?
Afin de fixer les populations sur leurs terres, et éviter que certaines régions se dépeuplent, et d’autres soient surpeuplées, Raoudha Gafrej propose, dans un premier temps, d’adapter les cultures en fonction des ressources en eau et des changements climatiques. L’activité agricole en Tunisie telle que pratiquée maintenant n’est pas adaptée ni au climat du pays ni à ses ressources hydrauliques. Pendant que les réserves en eau s’amenuisent, la culture maraichère, exigeant une irrigation intensive, a pris une part de plus en plus importante dans la production. C’est le cas notamment des tomates, des agrumes, des raisins ou des pastèques et des melons. Entre demande locale et production destinée à l’exportation, la Tunisie surexploite les eaux de surface et souterraines sans contrôle de la part des autorités.
« Cela ne sert à rien de planter des fruits ou des légumes gourmands en eau si l’on ne dispose pas d’eau, d’où l’importance du respect de la carte agricole qui doit être adaptée au changement climatique». Mme Gafrej nous dévoile par exemple que dans la région de Kasserine, certains exploitants n’hésitent pas à se raccorder aux réseaux de l’ONAS et à irriguer certaines cultures avec les eaux usées, sans qu’aucun contrôle ne soit effectué… Un phénomène qui pose une risque majeur sur la santé publique.
Elle propose que les zones à faibles ressources se tournent vers d’autres secteurs économiques que l’agriculture faisant référence notamment au tourisme alternatif, de plus en plus en vogue dans le monde entier.
Enfin, l’experte rappelle que la Tunisie est en situation de pénurie d’eau absolue. Son potentiel en eau implique une gestion en mode de crise continuelle et des conflits majeurs qui vont s’intensifier engendrant la paralysie totale du développement. C’est pourquoi, elle exhorte le président de la république à décréter l’état de catastrophe naturelle et aussi l’état d’urgence dans le secteur de l’eau afin de prendre des mesures qui permettront de préserver les ressources en eau mais aussi de prendre des mesures immédiates pour satisfaire l’alimentation en eau de la population.
Wissal Ayadi
Nos ancêtres ont su gérer le problème d’eau mieux que vous : il faut impérativement imposer pour chaque construction ( maison immeuble, ferme agricole, …..) des citernes pour stocker les eaux de ruissellement, les eaux de toits, les eaux de terrasses, etc….
Dommage, aussi pour le gaspillage d’eau.