Tunisie : La démission de Mechichi n’est pas la solution, la sortie de crise est ailleurs

12-02-2021

Le tribunal administratif a rendu hier soir son verdict, au sujet de la sollicitation du chef du gouvernement qui lui a demandé son avis sur le remaniement ministériel. Sa réponse qui est venue sur trois pages, rédigées avec menu détails comme seuls les juristes savent le faire, se résume en deux phrases : la justice administrative est incompétente en la matière, seule la Cour constitutionnelle est habilitée à interpréter la constitution, et à statuer là-dessus. Sa recommandation, il faudrait accélérer l’installation de la CC « pour garantir la continuité de l’Etat et assurer le bon fonctionnement de ses rouages ».

L’honorable juridiction ne fait guère avancer les choses, et sa position n’est pas d’un grand secours pour le chef du gouvernement, dépité de ne pas voir ses ministres entrer en fonction, bien que la confiance leur ait été votée, à une large majorité de l’Assemblée.

Face à ce litige entre les deux têtes de l’exécutif, tout le monde a eu voix au chapitre. Entre les juristes qui ont tenté de disséquer la constitution et la simplifier au maximum au point que ça soit devenu la discussion du plus grand nombre ; les personnalités politiques notoires qui ont prôné sagesse et raison, et à faire valoir l’intérêt suprême pour un règlement à l’amiable de cette crise, dans un cadre pacifique et des institutions ; et des politiques et autres acteurs étiquetés  qui se sont rangés, chacun selon son appartenance et ses convictions, derrière le président ou le chef du gouvernement, défendant le bien-fondé de leur opinion respective, beaucoup d’enseignements et de vérités ont jailli, mais pas encore la lumière.

Radicalisation des positions

Le blocage reste inextricable, et les positions du président de la république et du chef du gouvernement semble se radicaliser.

Kaïs Saïed reste intransigeant et refuse de lâcher du lest. Il pose deux conditions à une éventuelle sortie de crise : Soit la démission de Hichem Mechichi, soit l’abandon des ministres sur lesquels pèsent des soupçons de corruption et de conflit d’intérêt, comme l’ont déclaré les députés qui l’ont rencontré à Carthage sur ce conflit.

Hichem Mechichi semble aussi ferme dans son attitude, et a fait savoir ce vendredi 12 février à Tunis, qu’il ne démissionnera pas. « Je suis un soldat au service de ce pays, et le soldat ne fait pas désertion« , a-t-il affirmé dans une déclaration médiatique. 

Il avait, auparavant, confié à ses proches alliés qu’il ne pense point à la démission et qu’après vérifications, il s’est assuré que ses nouveaux ministres n’ont rien à se reprocher, et ne sont pas sujets de soupçons.

La situation tourne au dialogue de sourds, et au débat byzantin, et fait peser des risques incalculables au pays, dans une conjoncture de crises multiformes (sanitaire, économique, sociale…).

Le bras de fer entre les deux têtes de l’exécutif et leurs soutiens respectifs ne fait qu’envenimer davantage le climat, et exacerber les divisions au sein d’une société déjà délitée.

Le retrait ou le remplacement des ministres contestés aurait été une solution. Le problème est que le président de la république qui dit détenir des informations à ce sujet, n’a pas argumenté ses propos, et n’a pas spécifié qui sont ces personnalités qui ne devraient pas mettre la main sur le Coran, et juger allégeance à la Tunisie et loyauté à son peuple.

Entretemps, ces ministres que l’on dit corrompus, sans que personne n’en sache exactement les éventuels torts, sont privés de leurs droits les plus élémentaires, soit, la présomption d’innocence, la dignité, la préservation de leur réputation, et voient leur vie privée ainsi que celle de leur famille injustement éclaboussée.

Banalisation des changements à la Kasbah

La démission du chef du gouvernement, indépendamment de la personne de Mechichi, de ses soutiens, sa ceinture politique…est une mauvaise solution. Car, elle fera revenir de nouveau le pays à la case départ, aux sempiternelles tractations pour le choix de son successeur, de son gouvernement…et inscrira dans la durée une instabilité politique, qui a fortement porté préjudice à la Tunisie, et détérioré son image à l’intérieur et à l’extérieur.

En dix ans, une dizaine de chefs du gouvernement se sont succédé à la Kasbah, ce siège est-il devenu à ce point éjectable, qu’aussitôt un chef du gouvernement arrive, essaie d’habiter sa fonction et de se familiariser avec dossiers…qu’on pense déjà à le remplacer. La banalisation des changements à la primature est l’un des malheurs de la Tunisie qui a fait que l’action à la tête de l’Etat soit discontinue, inconstante et donc non probante.

La démission de Mechichi va-t-elle aussi rabaisser et décrédibiliser davantage le parlement, qui malgré ses faiblesses et ses dysfonctionnements, est une institution élue qui est l’un des piliers du régime mixte, inscrit dans la constitution.

La question est de savoir : Comment gouverner le pays ? Comment gérer les divergences ? Est-ce dans le cadre de la loi et la constitution, ou bien par des rivalités, des querelles politiciennes et par cette propension continue à dresser un clan contre un autre, et une Tunisie contre une autre.

C’est pour le moins affligeant, alors que les caisses sont vides et nos bailleurs de fonds attendent que tout le pays leur parle d’un seul mot, pour daigner lui venir en aide. Visiblement, leur attente risque de perdurer, il n’est pas exclu que la démocratie naissante du monde arabe, soit classée dans leurs fichiers, comme un cas désespéré.

H.J.