Tunisie / Télétravail : Ses avantages et ses inconvénients (Avis d’un psychiatre)

20-10-2021

Se lever, et s’installer quelques minutes plus tard devant son ordinateur, sans prendre sa voiture ou les transports communs, c’est l’un des avantages du télétravail ou le travail à distance. Il s’agit d’une pratique imposée depuis à peu près 2 ans, dans plusieurs entreprises publiques et privées en Tunisie et dans le monde entier, en vue de contenir la pandémie du Covid-19…

Bien qu’elle soit une nouvelle méthode de travail qui s’implante doucement dans nos habitudes, le télétravail sera-t-il la nouvelle alternative pour le travail présentiel ? La productivité est-elle meilleure lorsqu’on est chez soi ? Les employeurs, opteront ils dans l’avenir à la pérennité du travail à distance ?

En effet, avec l’accélération de la campagne nationale de vaccination en Tunisie, les salariés regagnent peu à peu leurs bureaux. Un retour qui n’est pas facile à prévoir, après une longue période d’isolement, de communication virtuelle, d’encroutement dans une routine anti sociale, qui favorise le repli sur soi, mais qui garantit aussi plusieurs avantages.

Le télétravail : Un avantage à double tranchant

D’après Dr. Souha Jedidi, psychiatre, le télétravail représente pour certains un grand avantage qui leur permet plus de souplesse et de flexibilité. Pour d’autres personnes plus sociables qui ont besoin de contact avec les autres pour se ressourcer, ils vivent cette période de réclusion devant leurs écrans, comme une réelle épreuve.

«  Plus besoin de subir le stress des embouteillages, la fatigue du trajet, ou de gérer la panique quotidienne pour préparer ses enfants, soi-même, le petit déjeuner, et de faire en plus la course pour arriver à l’heure au bureau…C’est un soulagement d’éviter toute cette tension au petit matin », nous a résumé le médecin en parlant des avantages du télétravail.

En évoquant ses inconvénients, le médecin a souligné que le travail à distance engendre la perte des repères spatiotemporelles. « Il faut veiller à ne pas dépasser ses heures de travail et surpasser ses capacités mentales. Ainsi qu’il est préférable d’aménager un bureau pour ne pas perdre ses repères et se trouver cloué au lit face à un écran.  Sans cela, l’employé peut subir une dépression, un Burnout. En cas d’absence de limites temporelles, l’employeur pourra facilement tirer profit des employés en les sollicitant en dehors des plages horaires de travail. »

Sachant qu’en Tunisie, il n’existe aucun cadre réglementaire concernant le télétravail, il ne faut pas oublier que le principe de cette méthode est d’effectuer le même temps de travail qu’en entreprise mais à distance. Le salarié est redevable de respecter ce temps de travail, d’être joignable sur les heures de travail mises en place et respecter une pause précisée par l’employeur et les clauses du contrat », a rappelé le médecin.

Les effets psychologiques du télétravail

« A part le sentiment d’être enfermé, et bloqué dans une spirale routinière étouffante, ces télétravailleurs sont aussi confrontés aux regards des proches qui les  considèrent désormais comme pères et mères au foyer. Sous prétexte qu’ils sont disponibles étant tout le temps chez eux, il existe des conjoints qui leur rajoutent des responsabilités (chercher les enfants, les courses dans les heures de travail, des invités qui débarquent…) alors que ces derniers ont des tâches professionnelles à accomplir de 8h à 17h ».

Contrairement aux préjugés, le travail à distance, bien qu’il soit plus productif pour les employeurs, pose des contraintes diverses aux employés, et pèsent lourd sur leur psychologie.

Perte du sens d’appartenance à l’entreprise et à l’équipe, outre la confusion des proches considérant que ces employés ont rompu avec leurs vie professionnelle, plusieurs patients souffrent désormais de dépression à cause des séquelles du télétravail nous a révélé Dr.Jedidi.

Dans le cas des employés qui ont besoin d’échanger avec les autres et de contact humain, le télétravail représente une épreuve difficile à vivre.

Le fait de ne contacter ses interlocuteurs qu’à travers les réseaux professionnels hyper sécurisés ou par mail, ou de ne pas pouvoir prendre plaisir le temps d’un café avec les collègues, est à la limite perturbant pour leur santé mentale.

« C’est pour ça qu’il faut tenir à sa vie sociale, en perpétuant les sorties après le boulot, les rencontres avec sa famille et ses proches pour ne pas s’habituer au retrait social. Les télétravailleurs sont aussi appelés à quitter leurs domiciles pour bosser ailleurs, dans un café, chez un collègue, ou dans un espace de Coworking, pour ne pas perdre la motivation en impactant son rendement ».

Un double effort pour une productivité plus intense

En parlant du double effort au télétravail, un CEO d’une agence de communication, ayant mis ses salariés au télétravail depuis juin dernier, nous a confié que le travail à distance a doublé ses attentes de ses employés.

« Le fait que je leur ai donné l’avantage de travailler de chez eux, n’est pas sans contrepartie. Il faut qu’ils soient plus disponibles, à n’importe quelle heure de la journée. Je les appelle le soir pour des réclamations de clients, ou pour des retouches et corrections. Les appels sur Skype sont interminables et la présence virtuelle est obligatoire pour l’intérêt du travail », a indiqué ce chef d’entreprise.

En l’interrogeant sur les impressions de ses employés, ce CEO nous a affirmé que ses employés sont à l’aise avec ce rythme, en revanche, avec la quantité du travail qui leur reste sur la planche, le retour au bureau se fera progressivement. Réunions obligent !, lance-t-il.  » Je me suis assuré que toute l’équipe est vaccinée, pour atténuer les risques de contaminations.  Mais, après quelques mois de télétravail, le retour semble difficile pour eux. A priori, leur présence sera obligatoire 3 jours sur 5, afin de faciliter leur réadaptation. » 

En effet, en période de télétravail, les attentes des employeurs augmentent, vu l’absence du contact réel et l’installation de la distance. Pour Maya, haut cadre dans une société internationale, elle commence sa journée en se connectant sur le réseau professionnel de l’entreprise. « La moindre absence d’un quart d’heure est mal interprétée par nos supérieurs, les petits retards dans les réponses ou encore les malentendus, s’accumulent souvent quand on n’est pas au bureau », déplore-t-elle, soulignant qu’elle a fait le choix de regagner son bureau pour éviter tout le stress du virtuel.

« A un certain moment, il faut aller à la rencontre de ses collègues et son boss, pour faire le point et reprendre la vie normale. Etre tout le temps seule chez soi, est plus perturbant qu’avantageux à mon avis », nous dit-elle.

Cet avis n’est pas partagé par Ghaya, une autre jeune femme d’une trentaine d’années, fonctionnaire dans une entreprise, au télétravail depuis une année, qui se dit contente et satisfaite de ce rythme malgré les contraintes.

 « Avant je faisais un long trajet pour arriver à l’heure, après avoir déposé mes deux enfants à l’école. Je dépensais beaucoup pour payer le carburant, acheter les repas de midi, cafés et gouters… Maintenant, c’est moins contraignant de travailler à distance et surtout plus économique. Je passe plus de temps avec mes fils et j’ai trouvé mon équilibre. En revanche, il faut s’assurer qu’il y ait une bonne communication avec les collègues et ses supérieurs, histoire d’éviter les amalgames…La confiance entre employeur et salariés et la clé pour réussir cette méthode de travail à distance qui n’est pas facile  à gérer avec ces temps de pandémie où l’anxiété et le stress sont souvent mal vécus… ».

Pour Said, ingénieur, le télétravail est certes une bonne méthode d’abord pour se protéger contre la pandémie, et pour mieux se concentrer chez soi dans le calme. « A condition que cette ambiance de calme soit réalisable chez soi, notamment hors des périodes de vacances des enfants… », indique-t-il. 

« Télétravailler en été était infernal pour moi. Mes 3 enfants étaient tous à la maison, et le bruit ne s’arrêtait jamais. C’est normal que des enfants de 3 à 10 soient agités, et j’étais content de partager avec eux plus de temps. Mais,  mon boulot exige une profonde concentration et le calme absolu. Même en étant dans une autre pièce, c’était impossible de s’isoler. Certes, je suis plus présent pour ma famille, mais un retour au bureau est devenu essentiel, voir plus urgent plus que jamais… ».

Emna Bhira