Tunisie : La guerre des majorités des 109, et les trois scénarios de l’éventuelle destitution du gouvernement Fakhfakh

13-07-2020

Comme c’était souvent le cas ces dernières années, l’été 2020 connait une crise politique aigüe, laquelle traduit un blocage et une incapacité des acteurs issus des élections de 2019 d’accorder leurs violons et de travailler ensemble. La crise est aussi la résultante de ce paysage parlementaire effrité, sans réelle majorité à même de gouverner, et des alliances qui se font et se défont, au gré de la conjoncture politique.

Cette affaire de conflit d’intérêts visant le chef du gouvernement, même si elle en éclabousse l’image auprès de l’opinion, est un facteur aggravant de la crise, et est un alibi pour Ennahdha en vue de remplacer Fakhfakh et sa coalition gouvernementale, au sein de laquelle le mouvement n’a pas réussi à faire valoir ses positions.

Ennahdha qui détient une majorité relative à l’Assemblée (54 députés) cherche une alternative gouvernementale, rassemblant les partis et les blocs parlementaires avec lesquels, il se sentirait mieux en harmonie, comme Qalb Tounes, et la coalition de la dignité plutôt que le mouvement Echaâb, Tahya Tounes, le courant démocrate, et le bloc de la réforme nationale avec lesquelles ses rapports n’ont cessé de se tendre au parlement et même au sein du gouvernement, mais à un degré moins apparent pour le grand public.

Coup de force

Le coup de force lancé par le mouvement islamiste à l’issue de son Majless el-Choura de la veille pour congédier Fakhfakh et sa coalition, est perçu d’un mauvais œil par ceux qui constituent jusque-là ses partenaires au sein de ce même gouvernement.

La riposte ne s’est pas fait attendre, les procédures sont enclenchées ce lundi pour destituer Rached Ghannouchi de la présidence du parlement. Même si les initiateurs de ce geste se défendent qu’elle ait un quelconque lien avec les résultats de la réunion de la veille, et l’imputent à des dépassements commis par le président de l’Assemblée.

Une motion est désormais signée notamment par le bloc démocratique (Echaâb et Attayar), Tahya Tounes, le bloc de la réforme national…pour faire descendre le président d’Ennahdha du perchoir. Ces partis gouvernementaux se retrouvent avec un tel procédé en parfaite symbiose avec le PDL et sa présidente, Abir Moussi, qui font de la destitution de Rached Ghannouchi un cheval de bataille.

C’est une guerre de majorités qui est désormais déclenchée : une majorité absolue de 109 députés est nécessaire pour retirer la confiance à Elyes Fakhfakh, la même majorité est requise pour démettre Ghannouchi de ses fonctions à la tête de l’Assemblée.

Le clan d’Ennahdha dispose a priori de 90 députés, et le clan adverse de 76 députés voire 92 élus, si on y ajoute les 16 députés du PDL. L’Assemblée en compte au total 217 députés ; si cette bataille rangée venait à aller jusqu’au bout, et un compromis de cessation des hostilités n’était pas trouvée en cours de route, chaque partie se démènerait pour mobiliser des soutiens dans l’ambition de réunir voire de dépasser la majorité absolue de 50+1.  

Motion de censure ou démission

Alors que la révocation du président de l’Assemblée est régie par le règlement intérieur du parlement, la déposition du gouvernement est elle réglementée par la constitution, qui prévoit trois scenarii.

Le premier scénario est celui prévu dans l’article 97. Une motion de censure peut être votée à l’encontre du gouvernement, suite à une demande motivée présentée au Président de l’Assemblée par le tiers de ses membres au moins.

Le vote de défiance à l’égard du gouvernement est conditionné par l’approbation de la majorité absolue des membres de l’Assemblée (109), et la présentation d’un candidat de remplacement au Chef du gouvernement, dont la candidature devra être approuvée lors du même vote. Auquel cas, le candidat de remplacement sera chargé par le Président de la République de former le gouvernement, selon les modalités de l’article 89.

La deuxième éventualité est prévue par l’article 98 qui évoque la démission du Chef du gouvernement, considérée comme étant celle du gouvernement entier. La démission est présentée par écrit au Président de la République qui en informe le Président de l’ARP.

Le Chef du gouvernement peut, selon le même article, solliciter l’Assemblée pour un vote de confiance quant à la poursuite par le gouvernement de ses activités, le vote se faisant à la majorité absolue. Si l’Assemblée ne renouvelle pas la confiance accordée au gouvernement, celui-ci est réputé démissionnaire.

Dans les deux cas, le Président de la République charge la personnalité la plus apte pour former un gouvernement conformément aux exigences de l’article 89.

La troisième hypothèse est celle inscrite dans l’article 99 de la loi fondamentale. Le Président de la République peut demander au parlement de procéder à un vote de confiance au gouvernement. Le vote se fait à la majorité absolue des membres de l’Assemblée. Si cette dernière ne renouvèle pas sa confiance au gouvernement, il est considéré démissionnaire, et le Président de la République se charge de désigner la personnalité la plus apte à former un gouvernement dans un délai de 30 jours.

En cas de dépassement du délai ou si l’Assemblée n’octroie pas sa confiance au nouveau gouvernement, le Président de la République a le droit de dissoudre l’Assemblée et d’appeler à la tenue d’une élection législative anticipée dans un délai minimum de 45 jours et maximum de 90 jours. Des élections anticipées, c’est ce à quoi appellent des milieux poltico-civils, à leur tête l’UGTT.

La Rédaction