8ans après le 14 janvier, les cinq maux de la Tunisie postrévolutionnaire

23-01-2019

On est déjà à la 8ème année de la révolution, la fête sera encore une fois, une occasion pour énumérer les défaites. Les choses ne se sont pas déroulées, hélas, comme on l’avait souhaité, dans la ferveur et l’emballement, un certain 14 janvier 2011. Qu’est ce qui fait que le pays soit dans un tel état de dégradation avancée, alors qu’on avait tout pour réussir, et que les Tunisiens avaient, il y a huit ans, une détermination à soulever les montagnes, un patriotisme et une solidarité qui faisaient la force d’un peuple ayant émerveillé la planète entière.

Si les aiguilles de la montre reviennent en arrière et que l’on se retrouve au point de départ pour tout recommencer, qu’est qu’on devra éviter pour faire en sorte que la situation soit meilleure. Bien d’erreurs, de faux pas, de querelles, de laxisme, de dérives et de fausses appréciations. Mais l’histoire ne se répète jamais, et sa marche est imparable.

Les cinq grands problèmes majeurs qui font que la Tunisie s’enfonce d’une année à l’autre dans la crise, sont d’ordre politique, économique, social, sécuritaire et moral.

La réussite relative de l’expérience tunisienne tient à sa transition politique pacifique. Le fait que le pays soit parvenu à gérer ses différends par le dialogue, à adopter une constitution consensuelle, et à tenir trois échéances électorales lors de scrutins transparents, pluriels et intègres, lui ont valu la qualification de démocratie naissante, qui donne l’exemple dans une région plongée dans les guerres civiles et les conflits armés.

Une réussite politique à relativiser
D’année en année, cette supposée réussite politique est à relativiser, a fortiori si l’on observe ce qu’il en est advenu du paysage politique. L’on se demande d’ailleurs, si nos difficultés ne proviennent pas, en grande partie, de la politique qui a échoué sa mission principale, celle de gérer la chose publique, et de servir le peuple. L’ouverture politique qu’a connue le pays il y a huit ans a donné lieu à plusieurs dizaines de partis de différentes obédiences. Le paysage partisan a connu tant d’avatars selon les étapes du processus transitoire, des partis qui comptaient lors de la première période constitutive ont quasiment disparu : Ettakatol, PDP, CPR ; un parti qui est sorti triomphant des élections de 2014 se trouve à ce state affaibli et dépouillé de ses dirigeants et ses bases après une succession de crises et de dissensions : Nidaa Tounes ; un parti est, néanmoins, resté solide et soudé, bien qu’il ait perdu beaucoup de sa popularité : Ennahdha.

D’autres partis comptent aussi sur la scène, à la faveur de leur présence au parlement, le Front populaire, l’UPL (dont les contours de fusion avec Nidaa restent flous), le courant démocrate, le mouvement du peuple, etc. Aussi, y-a-t-il des projets politiques qui sont en train de prendre corps, sur la base de groupes parlementaires, comme le parti en devenir de Youssef Chahed, l’appel de la patrie, qui s’appuie sur le bloc de la coalition nationale, et peut-être d’autres encore.

Cette flopée de partis qui s’étripent sur une arène sans arbitres et sans règles du jeu, les variations incessantes du paysage partisan et politique, et l’approche des échéances électorales confortent ce climat d’instabilité, sèment la confusion dans les esprits, et accentuent ce sentiment de désespérance et de désabusement.

L’inaction face à la chute du dinar
L’instabilité politique est, en grande partie, à l’origine de la débâcle économique. Le gouvernement en place, comme ceux qui l’ont précédé manque de soutien politique et de sérénité pour mettre en œuvre les programmes, les stratégies et les réformes que requiert la situation. Le fait qu’il soit astreint à des engagements envers les institutions internationales dont le FMI, et qu’il soit étranglé par le surendettement, réduisent grandement sa marge de manœuvre. D’où l’inaction face à de graves dérapages qu’est en train de connaitre notre économie, lesquels se traduisent principalement par la dépréciation du dinar qui a perdu presque la moitié de sa valeur au cours de ces dernières années sans que des mesures énergiques ne soient prises pour en freiner la chute, à travers notamment l’activation de certaines clauses de sauvegarde, l’arrêt de l’importation, l’encouragement de la production nationale, du made in Tunisia, etc. Sans compter des fléaux comme la contrebande, le commerce parallèle, l’évasion fiscale, la corruption… qui ont saigné à blanc notre économie, et qui ont compliqué la tâche pour l’Etat, et accentué les difficultés pour les entreprises, comme pour les ménages.

Sur le plan social, les tensions n’ont jamais cessé, l’organisation syndicale ne s’est pas départie un iota de ses injonctions revendicatives, et a agi de la même manière avec les gouvernements successifs, jusqu’à ce qu’elle obtienne gain de cause, sous peine de recourir à la méthode forte, la grève générale, et de paralyser l’économie, comme elle compte le faire le 17 janvier, si le gouvernement ne daigne pas se soumettre à ses desiderata.

Au volet sécuritaire, ce sont les deux assassinats politiques et l’offensive terroriste contre les villes et les montagnes, qui ont énormément porté préjudice au pays et brisé son élan pour le redressement et la prospérité. Un fléau dont l’extirpation requiert beaucoup de temps, de moyens et de ténacité, et auquel nos forces sécuritaires et militaires ont payé le plus lourd tribut.

A cela s’ajoute, une crise morale qui est à la fois la cause et la conséquence de tout ça. La reconquête de la liberté et la démocratisation, jointes à l’affaiblissement de l’Etat et son incapacité à faire régner un certain ordre social, et à organiser la vie en collectivité par l’application de la loi, ont favorisé la montée des égoïsmes, du chacun pour soi, et des corporatismes. A tous les niveaux, on a manqué d’une vision d’ensemble, de sagesse et de désintéressement, pour pouvoir faire prévaloir le bien commun et l’intérêt national, aux dépens des intérêts étriqués.

H.J.