Bergamini dénonce « les groupes familiaux » qui empêchent les jeunes de percer en Tunisie

11-07-2019

Dans une interview accordée au Monde Afrique, Patrice Bergamini, ambassadeur à Tunis de l’Union européenne dénonce « les positions d’ententes et de monopoles » en Tunisie qui entravent une transition économique aujourd’hui à la traîne par rapport à la transition politique.

Le diplomate européen considère que l’ALECA signifie que l’on va lever de manière unilatérale les barrières tarifaires douanières pour des produits agricoles tunisiens, décidés par les Tunisiens eux-mêmes. Les produits tunisiens rentreront en Europe sans difficultés, tandis que les produits européens de même nature seront, eux, toujours soumis aux droits de douane, etc.( …).

« En campagne électorale, l’Aleca fait facilement office de bouc émissaire. On crie au loup, au libre-échange, au néocolonialisme. Il s’agit d’un accord malheureusement mal nommé. Plutôt que de libre-échange, il faudrait parler d’accord d’arrimage économique, d’intégration économique. L’objectif est d’aider au soutien de la croissance, au développement de l’emploi, à la mise à niveau de l’économie tunisienne. Le concept de l’Aleca est très attaqué en ce moment en raison de la campagne électorale tunisienne, mais sur des arguments infondés, mal renseignés ou de mauvaise foi », a-t-il souligné.

Quand on parle de libre concurrence, loyale et transparente, c’est d’abord entre opérateurs tunisiens. Si l’on doit aider la transition économique, la forcer, la pousser, c’est parce qu’il y a des positions d’entente, de monopoles. Certains groupes familiaux n’ont pas intérêt à ce que de jeunes opérateurs tunisiens s’expriment et percent, a-t-il déploré.

« Malheureusement, il y a ces rugosités, ces aspérités, qui tiennent à l’ancien temps. C’était aussi le système sous l’empire ottoman, avec la licence accordée à des monopoles. Il y a encore ces apories-là qui font obstacle à la transparence et à la concurrence loyale. L’Aleca est prise pour cible par ce qu’on craint cela. Or les positions monopolistiques sont un frein à l’émergence de nouveaux opérateurs économiques, mais aussi la porte ouverte à la corruption, aux prébendes et au marché noir. »

Tout cela a un impact sur les progrès du modèle démocratique. Ce qui est en jeu dans une démocratie, c’est la redistribution : aider à l’enrichissement et à la consolidation des classes moyennes pour tirer vers le haut les plus démunis et rendre moins insupportable le fossé avec les plus privilégiés. Mais c’est difficile de faire bouger les lignes économiques en Tunisie. Plus difficile que de les faire bouger au niveau sociétal, a-t-il encore estimé.

Il cite pour exemple l’huile d’olive. « Le meilleur exemple que j’ai vécu ici, c’est sur l’huile d’olive. En 2018, la Commission européenne a décidé d’octroyer un quota additionnel de 30 000 tonnes d’huile d’olive, en bouteille, conditionnée. Or il n’y a pas eu, malheureusement, de réponse tunisienne formelle. Le président [de la Commission, Jean-Claude] Juncker est revenu sur cet épisode lors de sa visite à Tunis en octobre 2018. La vraie raison tient sans doute à ce que des grossistes, dont certains sont des spéculateurs, ne voient pas d’un bon œil ce soutien européen, susceptible de favoriser l’émergence de nouveaux opérateurs tunisiens se lançant dans l’huile d’olive conditionnée made in Tunisia. Pour eux, l’essentiel tient à la préservation de positions non concurrentielles, et qui leur permettent a fortiori d’exporter de l’huile d’olive en vrac. »

Selon ses dires, « il n’y a que de très bonnes intentions de la part de l’Europe à l’endroit du dossier tunisien. Parce que l’on sait que cette transition ne pourra marcher que s’il y a une transition économique, que s’il y a une redistribution de la richesse nationale. Mais aussi parce que l’on sait que l’environnement régional fait qu’il pourrait y avoir urgence. Et on ne veut pas perdre le soldat Tunisie en cours de route. »

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